Le tour de l’Europe de l’Ouest à pied

        


François Aubineau et Florent Mercier ont découvert l’Europe de l’Ouest à pied.


6. Slovénie


Le ciel est violacé au nord. Au sud, les derniers rayons du soleil accentuent les couleurs automnales et illuminent un dernier instant les sommets dénudés et les sous-bois tapissés d’aiguilles. Au nord, l’Autriche. Au sud, la Slovénie. Le silence et la beauté des lieux invitent à l’immobilisme sur ce col frontalier des Alpes, à 1 400 mètres d’altitude. Mais, le froid nous pénètre : il est temps de gagner le sud. Au fil des routes et des cols, nous profitons, baignés par les derniers rayons du soleil, de ces ultimes instants sauvages où les couleurs de l’automne se mêlent à l’herbe gelée, où les conifères d’une crête deviennent un court instant cristal.
« Dober dan » (bonjour), « Prosim » (s’il vous plaît), « Hvala » (merci). Avec ces trois mots, nos premiers hôtes nous initient au slovène. C’est une langue slave difficile composée de trois nombres grammaticaux (le singulier, le duel et le pluriel) ainsi que d’une multitude de terminaisons nominales possibles suivant le sens. Par exemple, il faut dire : ils sont « à Ljubljana » ; elle vient « de Ljubjani » ; nous allons « à Ljubljano ». Avec Kamnik, nous entrons dans la plaine urbanisée de Ljubljana. Richesse et pauvreté se côtoient : des Yugo, d’une époque révolue, rivalisent avec de puissantes voitures modernes, de nombreuses maisons décrépies s’opposent aux demeures récentes. La République slovène n’a que dix ans. La période socialiste a laissé une multitude de fermes, si petites que les agriculteurs doivent le plus souvent travailler à l’usine. Cependant, la Slovénie est le plus riche pays d’Europe de l’Est. Ce prochain membre de l’Union européenne dispose d’une jeune génération dynamique et anglophone, heureuse de disposer de la proximité de la mer et de la montagne.
Nous arrivons à Ljubljana. La modeste capitale, qui compte 300 000 habitants sur les deux millions du pays, nous replonge dans l’univers citadin. La présence d’un World Trade Center, d’enseignes de grandes marques ou de boulevards animés ainsi que l’omniprésence du téléphone portable réveillent notre agoraphobie grandissante. À l’Institut français, nous rencontrons une jeune Lilloise en Service volontaire européen : une façon de découvrir l’Europe en effectuant des actions sociales. Elle nous accueille dans l’appartement qu’elle partage avec un autre Français et deux Allemandes. Tous travaillent auprès d’enfants de réfugiés.
Le 9 décembre, nous quittons Ljubljana sous la neige et l’orage. À proximité d’une forêt, nous demandons notre chemin. On nous met en garde contre les nombreux ours venus, pendant la dernière guerre, de Croatie, de Bosnie ou du Monténégro peupler ce lieu. Et, comme un dernier plaisir avant une mort certaine, on nous offre une tablette de chocolat chacun. Nous traversons un univers blanc et silencieux, l’esprit en alerte. La neige, accumulée sur les branches, tombe et joue avec nos nerfs. À chaque fois, nous craignons une attaque. D’ours, point. Le soir, Stanislav, jeune grand-père aux cheveux noirs, nous console avec un chant slovène a capella, en accompagnant sa voix grave de son accordéon. Dehors, sur la petite route, le verglas a remplacé la neige.
À mesure que nous approchons de la frontière italienne, les kakis en fruits, les pêchers effeuillés et les vignes poussant en croix métamorphosent le paysage. Nous allons trop vite à notre goût : déjà, nous quittons la Slovénie ! Notre sortie s’effectue par la douane internationale. Asphalte et camions marquent notre triste sortie. Nous avons traversé la Slovénie en dix jours. Nous gardons le souvenir d’un accueil formidable, d’un peuple généreux, soucieux d’embellir l’image de son pays, misant son avenir sur le tourisme et très fier de participer pour la première fois au Mondial de football en 2002 !

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