François Aubineau et Florent Mercier ont découvert l’Europe de l’Ouest à pied.

5. Autriche

Un bon matelas de foin vert dans une modeste grange. Voici notre première nuit en Autriche ou, plus exactement, dans le Tyrol, région de transit, ouverte et accueillante, entre l’Allemagne, l’Italie et la Suisse. L’élevage et le tourisme constituent les deux richesses de la région. Les modestes troupeaux de vaches, grises ou brunes, sur de grasses prairies, font autant partie du paysage que les nombreuses maisons aux drapeaux « Zimmer frei » (chambre à louer).
Les Tyroliens n’hésitent pas à revendiquer l’invention de la cithare, ici appelée « Zither ». Si nous en doutons, la musique qu’ils en jouent, accompagnée du Hackbrett, un instrument à cordes dont on joue avec des baguettes, est indubitablement autrichienne…
Le long du canal de l’Inn, nous avalons les kilomètres sur des pistes cyclables goudronnées et dans un univers bruyant : routes, autoroute, voie de chemin de fer et lignes à haute tension nous agressent. Le vrai Tyrol est en haut, sur les sommets dénudés. Pourtant l’exceptionnelle douceur de ce début d’octobre ne doit pas nous faire oublier l’arrivée prochaine de la neige. Peu après Innsbrück, ville multicolore, nous quittons la vallée de l’Inn pour gagner le canton de Salzbourg. Nous prenons plaisir à déguster les couleurs chaudes de l’automne dans un univers plus calme.
À mesure que nous nous enfonçons en Autriche, trouver une maison d’accueil devient, chaque soir, un exercice plus difficile. Heureusement, la tente est toujours dans nos sacs.
Ainsi, le 20 octobre, nous demandons refuge chez un vieux couple de paysans. Ils traient leurs trois vaches de la race locale, la Pinzgauer, dont la robe amusante laisse croire à la présence de chaussettes sur les quatre pattes. Ce couple tient à nous faire goûter l’excellent fromage qu’il fabrique. Sur un mur de la salle à manger, se trouve un cadre avec une vieille photo de famille : les parents entourés de leurs dix-huit enfants…
Accueillants, joyeux et communicatifs, Julian et Élisabeth nous emmènent à la fête des récoltes et des petits paysans. Jeunes et anciens en costume traditionnel se retrouvent autour d’un cocktail local : trio accordéon-guitare-tuba, bière et schnaps. Le tout à volonté…
De longs cols routiers se succèdent, les montagnes s’abaissent : nous entrons en Carinthie. Dans les forêts constellées de jaune, d’orange et de rouge, nous enchaînons les petits cols, où nos pas font s’envoler les feuilles juste mortes. Un doux soleil et le ciel d’azur nous offrent un panorama de petites montagnes colorées. Le chant des oiseaux et l’arôme des sous-bois nous transportent dans cette atmosphère bucolique.
Les noms à consonance slovène font leur apparition : la frontière est proche. À Eisenkappel, nous réalisons un court séjour à Longo Maï, un ensemble de communautés créées après 1968 d’abord en France puis en Allemagne, en Suisse et en Autriche. Leur but était d’offrir une alternative aux jeunes qui refusaient l’élitisme et la consommation. La vie y est aujourd’hui basée sur l’autosuffisance alimentaire et le militantisme local et international pour la libre expression et l’intégration des émigrés et des minorités, grâce aux radios libres, journaux indépendants, conférences et manifestations. Ici, le va-et-vient est continu, chacun participe et fait don de son énergie en échange d’un partage total des biens. Signe d’une forte ouverture, l’anglais, l’allemand et le français résonnent dans toutes les bouches. Ici, dans une région où le parti nationaliste autrichien de Jörg Haider (le FPÖ) domine, les membres de la communauté s’occupent particulièrement des minorités slovènes. L’achèvement d’un sentier de randonnée transfrontalier via des lieux d’échanges est un bon exemple de leurs travaux. Nous l’empruntons pour rejoindre la Slovénie.
La dernière maison sur le chemin est une auberge, dont le tenancier nous invite à boire un demi-litre d’un infâme cidre maison… Une fois ce supplice achevé, nous avons mérité un dernier concert privé autrichien, au rythme des touches de son accordéon et de sa petite voix.