Un séjour en Guinée



Michel Tendil a séjourné à Conakry, en Guinée, où il a travaillé pour le Programme alimentaire mondial des Nations unies.


3. Cuisine et gouvernance


C’est le début de la longue saison des pluies, l’hivernage. Le ciel s’affaisse jusqu’à embrasser l’océan et les âmes s’assombrissent. Le mois dernier, le Premier ministre a prétexté un sommet africain à Paris pour prendre la poudre d’escampette. Il y était question de sauver le fleuve Niger ; lui a préféré se sauver. Pendant ce temps, des gens de bonne volonté ont entrepris de lancer une campagne imprudemment intitulée « Coup de balai ». Simplement pour demander aux habitants de balayer les ordures devant leur porte avant les trop fortes pluies. C’est que, sous l’arbre à palabres, on a la métaphore facile. Et il s’en faudrait de peu que ce criant besoin d’assainissement soit pris pour tel. Des petits tas de déchets se consument à chaque coin de rue et il en émane des odeurs de roussi. Toujours ce bruissement : « Ça ne peut plus durer, on en a marre. » Un soir, heure de pointe, alors que la capitale vaquait à ses occupations picrocholines, on a failli dessaler. Cela s’est passé près du stade. Au cœur de ce vaste chantier qui ressemble à Beyrouth aux grandes heures du trombinoscope télévisé.
Dans la marée de taxis cabossés, on distingue le pick-up rouge du gouverneur de la ville, avec sa quinzaine de miliciens en noir accrochés au bastingage et arme au poing. Comme tout est bloqué, le gouverneur décide de lancer ses mirmillons à l’assaut et montre l’exemple en distribuant de méchants coups de pieds à une pauvre poubelle. S’ensuit une belle bastonnade et malheur à ceux qui se trouvent au milieu. Sauf que dans le lot, il y a le fils de la cuisinière du président. « Tu ne sais pas que c’est ma famille ? », lance celle-ci, piquée au vif. Mais le gouverneur aux gardes athlétiques ne goûte pas de cette cuisine. Il se précipite sur elle et lui sert une bonne gifle en retour. Or, en Guinée, la cuisine est sacrée. Les gens en ont assez reçu sur le râble : le couvercle saute et l’algarade tourne à la mutinerie. Les gardes-chiourme tirent en l’air pour disperser la foule et réussissent à s’extraire du fatras avec un gouverneur sous le bras. « Tuez-les ! », s’écrit celui-ci, dans sa retraite. « Tuez-le ! », reprend la foule vengeresse. La cuisinière et le gouverneur qui, maintenant, sont à distance, se complimentent par pères et mères interposés. Ce qui est plus grave que les coups de feu. Mais on s’en tiendra là. On se promet des retrouvailles et la situation retourne à la normale : au maelström succède le maelström. Il sera dit que cuisine et gouvernance ne font pas toujours bon ménage.

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