Un séjour en Guinée

     


Michel Tendil a séjourné à Conakry, en Guinée, où il a travaillé pour le Programme alimentaire mondial des Nations unies.


2. L’appel du large


« Bienvenue sur l’Atlantique. » En passant le mur défraîchi, on en saisit toute l’ironie. C’est donc cela Boulbinet, le port de pêche de Conakry. Je suis venu ici humer l’air de l’océan ; les miasmes de la ville m’ont devancé. La mer, en se retirant, a déposé ses vomissures en plastique. Un épais tapis s’est formé sur la grève et le ressac crache une écume jaunâtre qui ne semble émouvoir personne. C’est la criée. Des poissons mélancoliques sont répandus dans la boue, au milieu des flaques de l’averse matinale. Le « principe de précaution » n’est pas encore au menu de ce grand festin. Las, les pêcheurs renouent les mailles de leurs longs filets endommagés. Les charpentiers colmatent les brèches dans la coque des pirogues aux noms fastueux : Le Destin, Nazareth, Confiance… Je suis parti en quête de récits héroïques et l’on me sert une complainte en mode mineur : « On se débrouille un peu un peu, on avance petit à petit ! »
Les lamentations résonnent dans l’ombre de l’énorme silhouette du palais des Nations. Une forteresse de béton et de poutrelles rouillées héritée de l’ère Sékou Touré et laissée à ses fantômes depuis le putsch manqué de 1996. Sur la gauche, face à la mer, se dresse un bois de haute futaie. Des fromagers centenaires agitent leurs ramures au-dessus du cimetière colonial. Les ancêtres des Soussous et des Bagas y pratiquaient déjà leurs rites animistes. Devant, il y a un autre cimetière. Marin celui-là. Quel spectacle ! La rade est encombrée de souvenirs de cargos. De la tôle et de l’acier toujours, façon mer d’Aral. Avec son collier de coquillages, Amara le bien nommé gémit lui aussi des airs fatalistes. « Il y a de moins en moins de poisson par ici ? c’est la volonté de Dieu. » Sa pêche favorite ? Les épaves. Parce que c’est là que se cachent les dernières belles prises. Pétris de flots et d’embruns, les pêcheurs de Boulbinet rêvent de grand large, d’eldorado.
Parlez cinq minutes à un Conakrika et il vous demandera un ticket pour l’Europe. Toute une ville est prête à abandonner le navire. Le Radeau de la Méduse plutôt. Amara m’invite à bord de sa pirogue et chante son village de l’île de Tamara comme un paradis perdu. Le Novotel – camp retranché des réfugiés francophones – apparaît juste là, derrière le port. Conakry est ce monde sans transition où le riche côtoie le purotin, où la nuit et la lumière se succèdent au rythme des coupures de courant. La pirogue s’éloigne, les odeurs aigrelettes se dissipent et il ne reste que les couleurs et l’agitation. Boulbinet prend alors de faux airs d’Essaouira.

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