Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Taklamakan – Xinjiang :

« Abdu et Qiao méritent le Nobel de la paix. Au milieu de l’immensité désertique, ils se partagent un poste de contrôle juché sur un talus le long de la nouvelle ligne ferroviaire Hotan-Kachgar, ultime phase de conquête du Xinjiang par le fer. Un îlot de quelques mètres carrés battu par les vents et le sable où cohabitent ces deux amis issus de mondes que tout oppose, mais que l’isolement semble avoir soudés à jamais. Qiao, le Han au sourire permanent, semble électrocuté par la vie tant il braille et s’agite sans répit. Avec sa femme, il a quitté ses lointaines rizières pour chercher un salaire régulier dans ce poste isolé. Il est le fils de cette Chine dont les vagues de l’histoire communiste ont effacé les amarres : la religion et la culture se sont évaporées sous les coups de la révolution culturelle ; la collectivisation a coupé l’attachement aux terres ; la délation politique a désossé les familles. Comme des millions de Chinois, Qiao est sans attache, prêt à aller là où le vent que souffle Pékin le mènera. Alors, quand l’heure d’une phase de conquête du Xinjiang par le fer a sonné avec la ligne Hotan-Kachgar, Qiao y a vu l’opportunité du pionnier. Abdu, l’Ouïgour, a la stature haute, les cheveux frisés et une gestuelle empreinte de calme. Il a laissé sa femme à la maison, où elle garde les enfants. Les siens lui manquent mais en homme d’honneur, ce chef de poste ne saurait se dérober à ses fonctions. Sa chemise impeccable des chemins de fer chinois est l’uniforme de son combat pacifique pour donner aux Ouïgours une place au premier rang.
En échouant à leur porte alors qu’un nouveau coup de vent s’annonçait pour la nuit, nous devenions les hôtes de la solide amitié qu’a fait naître leur huis clos. La femme de Qiao nous sert du poisson frit.
“C’est le seul plat qui met d’accord le mangeur de cochon et le mangeur de mouton autour de cette table.
— Mmmmh ! Je peux dire sans risque que ta cuisine est la meilleure du coin ! plaisante Abdu qui sert le thé.
— Abdu, ce n’est tout de même pas avec ton mauvais mandarin que tu comptes flatter ma femme !”
Dans ce poste égaré, la joie défie la tempête qui gronde au-dehors. Le sable fouette les fenêtres sans troubler notre soirée bercée de rires, de mots anglais, ouïgours et mandarins. Comme pour narguer les éléments, Qiao s’approche de la fenêtre et imite le hurlement du vent. Dehors, la lumière froide de la lune éclaire un spectacle irréel. Du haut de notre talus, nous dominons une masse mouvante brassée par le vent. Les langues de sable parcourent le sol comme des fantômes blafards filant à travers le désert. Le poste de contrôle de Mayake est devenu un phare perdu dans la houle d’une mer de sable. Au sud-ouest, un reflet blanc dans l’obscurité trahit la présence du “père des montagnes de glace”, le Mustagh Ata.
Ni hao ! Breakfast ready.
Qiao nous réveille en ouvrant la tente. La tempête qui a secoué notre abri toute la nuit s’est endormie avec l’aurore. Nos visages engourdis de sommeil provoquent un fou rire chez lui. Le voir hilare, avec le chapeau de tulle rose de sa femme attaché par une ficelle sur sa tête nous fait le même effet. Et c’est dans de francs éclats de rire que nous fêtons cette journée qui commence.
Avant de nous laisser reprendre notre route, Abdu et Qiao organisent en grande pompe une parodie de cérémonie des cadeaux. Devant l’appareil photo, nous recevons un coffret de médecine chinoise et un sac rose, confectionné au crochet par la femme de Qiao. Lorsque nous commencerons à rouler, leurs bras s’agiteront longtemps pour nous accompagner jusqu’à ce que leurs silhouettes disparaissent à l’horizon et que la sirène de la gare nous sonne un dernier adieu. Désormais, nous savons qu’il existe au Xinjiang un poste ferroviaire perdu dans l’immensité où l’amitié d’un Ouïgour et d’un Han échappe aux ressentiments raciaux.
Devant nous, dans l’éther, le Mustagh Ata et le Kongur Tagh – qui s’élèvent respectivement à 7 546 et 7 719 mètres – marquent la fin du Kunlun et le début du Pamir. Notre regard est aspiré par leurs cimes qui crèvent le ciel pour y récolter la glace. Puis c’est l’à-pic vertigineux qui plonge vers le désert jusqu’à buter sur un immense glacis qui s’étend en pente douce sur plus de 1 000 mètres de dénivelé. Dans la fournaise, les neiges éternelles de ces géants rassurent. Ce sont elles qui prodiguent l’eau et la vie. D’ailleurs, à mesure que nous progressons vers l’ouest, les oasis se font plus régulières, les cultures irriguées bordent des routes et des enfants nus pataugent dans les canaux au pied des peupliers. Nous approchons de l’extrémité ouest du désert du Taklamakan, là où les Tian Shan, le Pamir et le Kunlun se rencontrent pour marquer les confins de la Chine et du Xinjiang. Au cœur de la convergence de ces géants s’abreuve une cité mythique de la route de la soie : Kachgar. »
(p. 175-177)

Oodnadatta track – Australie-méridionale (p. 56-58)
Kham – Sichuan (p. 119-121)
Extrait court
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