Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Mes meilleurs amis sont écrivains :

« Born to be ouuuuaaaiiilllde !! De retour à L. A., j’ai retrouvé les habitudes kerouakiennes : fumer, boire et me droguer. La différence entre “ma” route et la sienne, ou celle de Burroughs, c’est que la coke qu’on me propose, je dis : “Ok, why not ?” La piquouse, je dirais niet. Peyotl ? Si, Señor, muchas gracias… On n’a qu’une vie, merde ! Benzédrine ? Connais pas… Je plane depuis trois jours que je suis arrivé à Los Angeles. C’est coooool, mais je n’arrive plus à écrire. J’ai bien essayé d’envoyer un article au Point mais le chef de la rubrique “Culture” n’y a rien compris… J’ai pas les dents qui poussent mais c’est limite.
J’habite chez un copain depuis des semaines, maintenant, et ça commence à bien faire, pour lui comme pour moi. Nos relations se tendent au moment où je commence à tenir le fameux “it”, dont tu parles, Jack. Dès que ça mord, faut plus le lâcher, comme tu dis à Neal, en route pour Sacramento. Il faut tenir bon, aussi longtemps qu’on le peut. À toi, à moi d’imposer en forme ce qui est dans la tête de chacun : l’amour, la peine, la joie, la peur, hein ? Puis on déroule nos idées, bien sûr, jusqu’au bout, jusqu’à notre destin ; c’est à ce niveau qu’on doit souffler. Et tout à coup, au milieu du chorus, tu ferres le “it” : tout le monde sursaute, se réveille et s’en empare. Le temps s’arrête. Il remplit le vide de l’espace de nos vies, de nos têtes, avec des confessions jaillies de nos ventres tendus ; des confessions universelles et qui paraissent uniques, sans oublier la mélodie, le rythme, le swing, la voix… La voie du style. Ce n’est pas l’histoire qui compte, mais le rythme, le “it”, le style. Et ça, ça ne s’apprend pas. On l’a ou on ne l’a pas.
C’est alors que tu te mets à parler. Tu n’as jamais autant parlé de ta vie, sur la route de Sacramento. Tu te rappelles que lorsque tu étais gosse, en auto, avec tes parents, tu avais l’habitude d’imaginer que tu tenais une faux immense à la main et que tu coupais tous les arbres et tous les poteaux et les collines… et les têtes aussi, sans doute. Tout ce qui était derrière la vitre y passait… “Ah ! Oui ! Oui !” gueule Neal, moi, aussi j’avais la même habitude. Sauf que sa faux, à lui, elle débitait carrément les montagnes. Bon, je ne sais pas si tu te rends compte, Jack, mais sans faire de psychanalyse de café du commerce, tu décris la mort, là. Vrai ou faux ? (pas de jeux de mots, pardon…)
Neal t’a coupé la parole, il te dit qu’en voiture, avec son père cuvant à l’arrière, épuisé d’avoir tenté de vendre des tue-mouches, il s’imaginait aussi chevauchant un grand cheval blanc, qui franchissait les obstacles, dévalant les pentes et les grandes étendues de l’Ouest, contournant les poteaux, survolant les maisons, virevoltant dans d’incroyables acrobaties à travers la circulation… Et ça, c’est plutôt un symbole de vie, à mon avis. Vous étiez des mômes de l’Est et de l’Ouest américain et vous rêviez de chevaux. Jeunes adultes, vous décrétez que vous avez le sens du “temps” et que toute chose est réellement “belle”.
Il n’y a qu’un truc qui me chiffonne, Jack, c’est que plusieurs fois tu évoques des pédés, des pédales avec animosité, alors que tes potes l’étaient presque tous… Jaaaackkk !!! C’est quand même un comble. Lorsque Neal prend le volant, les gens ont peur sauf toi. Il a l’air complètement dingue et fonce en frôlant les autres voitures au millimètre. Tu prends sa défense et annonce qu’il est le meilleur chauffeur du monde. Il te montre où il est né et te fait pleurer lorsqu’il décrit les gens qui changent, en prenant leurs repas au même endroit, les années succédant aux années, ils changent à chaque repas.
Vous voilà, à nouveau à Denver. Moi je n’y retourne pas. Vos bagages cabossés sont empilés sur le trottoir et vous avez encore bien du chemin à faire. Mais qu’importe, la route, c’est la vie. J’adore regarder tes photos de cette époque, Jack : celles avec tes potes poètes sur la plage de Tanger par exemple, et celles de Neal Cassady, l’enfant sauvage de l’Ouest. À 20 ans à peine, sourire de défi sur les clichés anthropométriques de la police. Cheveux coupés courts, presque blonds, il se marre intérieurement en pensant déjà à la nouvelle jolie meuf qu’il va s’envoyer sur la banquette arrière de la Cadillac qu’il va voler. J’adore ce regard de défi, ces yeux pétillants ! Neal Cassady et les beatniks voulaient juste se libérer des carcans d’une société dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas. Comme le personnage d’Into the Wild. Ce n’est pas un hasard si j’ai croisé Sean Penn près de l’aéroport de Santa Monica. Je ne crois plus au hasard. Ce n’était pas un bar à putes mais un bar à sushis, oui. À la télé – allumée quasiment partout – des nageurs crawlaient aux jeux Olympiques de Pékin et je dépensais 70 dollars pour mettre du saké et du poisson frais dans ma bouche chaude.
Je commençais à désespérer de la Californie. Fumette, picole, crises de rire, délire… Mais pas de plan cul. Suis-je devenu moche ? Pas attirant. C’est intriguant. Je fume sur le balcon de l’appart de Gallagher, qui lui ne fume pas mais a une bagnole style Colombo du dernier chic : rétros pétés, sièges bloqués en position arrière. Lui, il n’a pas besoin de boire et de fumer, il est tombé dedans quand il était petit. Ses parents hippies lui ont tout appris. Il a tout gardé en lui. Que ce p’tit mec est drôle ! Avec son chapeau de gitan Kusturica et son nez feuj Rabbi Jacob. Comme moi, il n’est pas accepté dans les boîtes de nuit chicos, où l’on se prend très au sérieux pour s’amuser. Et comme moi il trouve ça très drôle.
Replay. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas marré comme ça. Virée “cassadyenne” en voiture, comme des étudiants allumés, demandant aux rares passants où était Times Square. À Los Angeles !… À chaque fois, on leur parlait dans leur langue supposée, d’après leur look extérieur : arabe, chinois, espagnol, ukrainien, arménien. Les Arabes ont eu peur. Après le “Wa aleikoum es-salam” d’usage, la mère a rappelé son fils. Faut dire qu’avec son petit chapeau à la mode, Gallagher faisait un peu sioniste exalté : manquait plus que les bigoudis. Et moi, à côté, je ressemblais à Élie Chouraqui, avec mes cheveux “tête-forêt”. Sur la plage, un jogger a surgi venant de la mer. Jusque-là, rien d’anormal, sauf qu’il était minuit passé et qu’il courait à poil et ne ressemblait pas à Pascal Duffy dans la série L’Homme de l’Atlantide. Puis un cycliste sur une roue est arrivé, seul dans la nuit. Il s’est dirigé vers la grande roue du Santa Monica Pier, que l’on voyait briller au loin. J’avais envie de piquer un drapeau national (une de mes marottes depuis la fac) sur une maison de star. Puis on est rentrés. Sonia n’a pas cédé à mes avances. Elle préfère les hommes mariés, c’est plus douloureux. Dommage, me plaisait bien Sonia. Journaliste, bourlingueuse, intelligente, marrante et moitié kabyle. Comme moi. Oui, je suis kabyle dans ma “tête-forêt”.
Tout départ prolongé s’accompagne de larmes. Elles annoncent à la fois la perte et l’espérance. Vous laissez derrière vous les êtres chers, les habitudes, une bonne part de vous-mêmes. Et dans ce vide creusé par cette perte pourra venir le monde, et ce frisson de l’inconnu qui vous conduira vers une part de vous-mêmes que vous ignoriez.
Don’t fake (“Ne fais pas semblant”). À ne pas confondre avec to flake (manquer, rater, poser un lapin…) et fuck.
Je viens de saluer Jim Morrison collé au mur de Venice Beach… “Virée party” avec Salvatore qui ne me flake plus… C’est moi qui flake, now. À suivre… Y’a à boire et à manger, faut pas mollir, grouille, laisse pas ta pipe s’éteindre.
Je reste assidu du fond de mon trou.
Merci Jack… heureusement que tu es là. Que vous êtes là, mes écrivains préférés. Je réalise que mes meilleurs amis sont écrivains… morts. Je ne suis jamais déçu avec eux. Dès que ça ne va pas, j’ouvre un livre de toi, Jack, ou de London, Cendrars, Miller, Fante, Bukowski, et je me sens mieux. Mais la relève est là : Dave Eggers, Stephen Frey, Colum McCann… »
(p. 231-234)

L’hôte des tubes digestifs disponibles (p. 80-84)
À Mexiiicooo !!! (p. 182-187)
Extrait court
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