Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Échanges sur un trottoir :

« Voici le moment du salut. Le chapeau que je pose à terre après l’avoir porté est un adieu, une demande, un abri en moins que j’ai contre la pluie. C’est aussi l’occasion que je donne aux autres de me mettre un peu plus à nu, et de leur demander de s’approcher encore un peu. Pour mettre une pièce, et pour pouvoir parler. Ou pour y déposer autre chose. Je ne peux pas énumérer ici tout ce qui atterrit dans un chapeau laissé sur le trottoir : en Russie, c’est un oiseau en paille tressée censé me porter chance ; en Pologne ou au Brésil, des dessins réalisés durant le spectacle ; à l’île de la Réunion, des fruits et des légumes. Le plus surprenant ? À Liège, en Belgique : une carte bancaire, mais sans son code…
Approchez-vous encore pour y déposer un souvenir. Voilà. On peut enfin se rencontrer. De si près, on ne s’est jamais aussi bien entendu. C’est à votre tour de me dire comment vous vous portez, comment on vit en ville, en sédentaire, en Homo metrosexualis comme disent les sociologues. Approchez-vous et parlons vraiment.
C’est ainsi que j’ai rencontré Mario, clochard à Brême. Après le spectacle, il s’approche de moi et me demande une pièce. Il le voit : j’en ai plein mon chapeau. Il ajoute : “Si vous pouviez m’aider. C’est mon anniversaire demain. Je ne vous mens pas !” ; il me montre sa carte d’identité. Je l’invite à prendre un café et un morceau de gâteau au bar du coin. Il habite un deux pièces, touche le minimum social et tend son gobelet toute la journée aux passants sur le marché. Depuis la mort de son père sept ans auparavant, il n’a plus aucun repère, ni boulot, ni famille. C’est le premier anniversaire où il ne sera pas seul.
Je ne suis pas loin d’être un clochard moi-même. J’aime les bancs et l’ombre des arbres. Je passe plus de temps dehors que dedans. Tous deux, nous tendons un chapeau à l’envers sur le pavé, tous deux nous l’espérons rempli de pièces au soir. Pas de domicile fixe. Et je subis ma solitude. Que nous révèle un clochard doux ? Que nous sommes riches de n’être que nous-mêmes. Que la liberté se trouve peut-être dans la pauvreté, le dénuement, la simplicité. Que nous révèle un clochard fou ? Qu’il faut aimer, qu’on doit rire, qu’il fait bon se rassembler autour d’un cercle de craie pour ne jamais être seul. La vie, si elle le veut bien, fait de nous des clochards conscients du monde. On respire, on voyage, on aime, on admire, on s’émerveille. Puis tout à coup, on subit sa solitude.
La liberté n’est pas ailleurs. Dans cette solitude nécessaire qui fait peur et fascine, qui éveille et endort, qui annonce et termine. Il y a sur le banc où je suis seul aujourd’hui des milliards de culs posés, qui ne regardent pas dans la même direction, ni même le même horizon. C’est notre humanité qui occupe l’espace de ses quatorze milliards d’yeux et donne autant de points de vue sur ce qui reste à voir.
Il y a partout sur le globe terrestre quelqu’un qui vous regarde. La scène sera à vous dans un instant, lecteur, dès que quelqu’un aura le culot de vous voir autrement. Dès que vous aurez mis un chapeau, un pantalon trop court ou une perruque blonde en sortant de chez vous. Dès que vous aurez déclaré votre amour un genou à terre, dès que vous aurez crié un prénom sur la place publique, dès que vous aurez esquissé une grimace pour faire rire un enfant. Le théâtre de la rue ouvrira son rideau sur votre visage. Le trottoir deviendra votre scène. Place de l’Agora vivent les citoyens, rue du Théâtre vit le monde. »
(p. 82-85)

Gagner le public, encore et toujours (p. 15-18)
Théâtre poétique, théâtre politique (p. 32-35)
Extrait court
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