Collection « Visions »

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Couverture
Cordillera :

« En Patagonie, il arrive que l’ordre des choses s’inverse et que, dans la steppe souvent décrite comme monotone, un véritable spectacle s’offre à celui qui sait lever les yeux vers le ciel. Le vent violent et capricieux s’amuse souvent à sculpter les nuages pour en faire de véritables merveilles. Ce sont parfois des bandes duveteuses de cirrus constitués de cristaux de glace, ou des couches de petits moutons blancs, les cirro-cumulus, qui broutent le bleu de l’azur. Parfois, le vent semble former de jolies vagues qui viendraient s’échouer sur quelque rivage imaginaire. Mieux encore, quand l’humidité est suffisante, certains nuages paraissent vibrer lorsque, sous l’effet de la condensation, de subtils mouvements ondulatoires se créent à leurs extrémités. Ici, c’est le ciel qui prend de l’importance, la lumière elle-même et non ce qu’elle éclaire. Le décor, tout simplement, est planté dans les nues. Et le spectacle peut être un voile rose sous lequel il pleut. Ou encore du gris qui pèse comme un couvercle entrouvert sur l’immensité. Le soleil du soir ne se couche pas paisiblement en bandes rectilignes. Ici, les couleurs du crépuscule sont violées par le vent. Elles se débattent, façonnant des traînées de nuages jaunes, parfois marron, ou forment bloc, constituant alors de prodigieuses masses pourpres d’où émanent les derniers rayons lumineux. Puis la lutte s’achève : le vent, en guise d’apaisement, apporte de calmes nuages de coton grisâtre, la couleur même de la tôle ondulée des estancias qui, avec eux, s’enfoncent dans la nuit.
Il est étonnant de constater à quel point mon appréhension de la solitude a été différente au cours de mes voyages en Patagonie. Le premier d’entre eux s’était inscrit dans une vision volontairement solitaire et, s’il m’arrivait de rencontrer des gens, je n’éprouvais pas le besoin de rester longtemps auprès d’eux. C’est ainsi que je pouvais quitter une estancia après une courte halte dans l’après-midi, pour aller bivouaquer quelques kilomètres plus loin. Lors du deuxième voyage, je revenais en Patagonie pour mieux la découvrir, alors que je n’avais fait que la traverser auparavant, et je ressentis au contraire le besoin d’ajuster mon itinéraire et mon rythme en fonction des estancias éventuelles. La raison initiale en fut que j’avais au début deux cent cinquante kilomètres de désert à parcourir en cinq jours, avec seulement trois lieux d’étape où trouver du fourrage pour Colebra, qui sortait de convalescence. Je savourais ainsi ces courtes haltes, retrouvais le maté et la viande grillée – asado –, qui me changeait des sempiternelles pâtes. Les hommes que je rencontrais étaient captivants, aussi ai-je vite compris que je passerais à côté de l’âme de cette région si je ne faisais qu’errer, seul dans la steppe ou les montagnes. Alors, je m’arrêtai plus longtemps dans les fermes, aidant au marquage du bétail et découvrant le monde fascinant des gauchos. Leur univers me manquait désormais sitôt que je me retrouvais vraiment isolé, égaré dans les forêts sans chemin de la Cordillère. »
(p. 62-65)

Cordillera (p. 32-33)
Cordillera (p. 40-41)
Extrait court
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