Collection « La clé des champs »

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Couverture
Sénégal & Gambie – Huit ans… j’ai dû faire un détour :

« Le dos cassé, j’arrive au Sénégal. Traverser deux pays en quelques jours puise dans les ressources, c’est indéniable. Où sont passés mes 20 ans ? Avide de découvertes et d’émotions, j’ai entamé cette migration dès mes vingt-sept bougies soufflées. Depuis, aucune velléité d’abandon ne s’est manifestée, malgré les moments difficiles. Mais aujourd’hui, je baisse la garde. J’ai 35 ans et, dans la plénitude du rêve accompli, je me sens rassasié. Revenir après deux années ne m’aurait jamais sevré. Voilà peut-être ce qui meut les voyageurs éternellement sur le départ…
Je longe les rives du fleuve Casamance jusqu’à Dabo. La région est magnifique et ses habitants sont réputés pour être les plus chaleureux du pays. Le conflit larvé entre les indépendantistes et le gouvernement joue en sourdine depuis une dizaine d’années. Au petit matin, le marché local s’anime. Un rien épicé, le café touba fait passer les beignets avant que la conversation ne s’engage. On “palabre” sur la santé de la famille et les problèmes économiques qui poussent les plus désœuvrés dans des embarcations précaires en partance pour les Canaries et l’Union européenne. Assis sur une Yamaha YB 100 béquillée, Boubacar part sur la côte à la recherche d’un “visa”. C’est le nom donné aux femmes blanches en mal d’amour, dixit l’intéressé. Soleil au zénith, je reprends la route dans un labyrinthe de marigots et de bolong, bras de fleuve tapissés de rizières. La moto échoue finalement au cap Skirring, sur les plus belles plages du Sénégal.
À l’ombre des cocotiers, le farniente me gagne. Au programme du cinquième jour, la traversée de la Gambie par le fleuve du même nom. Un ferry accoste à Farafenni où l’attendent des officiers disséminés sur une dizaine de postes de contrôle. Ils se frottent les mains : “Si vous n’avez pas de dalasis, nous acceptons les CFA.” L’équivalent de 3 euros est demandé à chaque tampon ; moitié prix en insistant et gratuit avec beaucoup de patience. Il faut s’adapter à son interlocuteur, en suivant les règles. Toiser l’uniforme est une erreur que certains commettent en espérant ébranler un système bien rodé – j’en étais. L’humour est un sésame en Afrique et la politesse une affaire d’État. Même quand on se fait arnaquer, il est bon de vouvoyer. Si ça ne fonctionne pas, on pourra toujours se fâcher. Dans la vie quotidienne, les salutations entre Africains durent une éternité. L’oralité est au fondement de leur culture. Comment va la santé ? Avant de parler de la sienne, il s’agit de disserter. Les parents vont bien, merci. Les enfants et ma première femme aussi.
Au bout de la Transgambienne trouée comme un gruyère, je retrouve le Sénégal avec soulagement. À M’bour, les pêcheurs rentrent au port sur leurs pirogues colorées et vendent aussitôt le poisson à la criée. Fatou m’héberge dans la capitale. J’installe un matelas sous une myriade d’étoiles et partage la cour avec un mouton blanc. Chéri et bien nourri, il échappera à la casserole. Son rôle reste pourtant ingrat : il protège la famille du mauvais sort. Inlassablement, il tourne en rond autour du piquet. Dis, mouton, dessine-moi un rond ! Il en fait deux, puis trois. Va pour un quatrième. Dans les yeux d’une bête parfois, on trouve l’humanité qui nous manque. Je rejoins la famille, assise à même le sol autour du dîner. Avec les doigts, nous savourons le délicieux poisson tiéboudienne. Je lève mon verre de bissap, du jus d’hibiscus, à l’hospitalité sénégalaise, avant de découvrir Dakar by night. Au son de la musique omniprésente, les tresses virevoltent et les corps d’ébène se déhanchent.
Un beau matin, le réveil sonne le retour à la case départ et, au bout de la route, viendront les premières questions : “Alors, c’était comment ?” J’ai déjà fait le deuil de tout partager. Il me restera à jamais le sentiment étrange d’avoir tutoyé la liberté et sa sœur jumelle, la fraternité. Avant d’enclencher la première, je jette un coup d’œil au compteur. Kilomètre 264 000. La roue a tourné. Huit ans pour relier Paris à Dakar, j’ai dû faire un détour. »
(p. 102-105)

Australie – Tapis rouge latérite (p. 26-31)
Bolivie – Une odeur de sapin (p. 64-69)
Extrait court
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