Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
À Mexiiicooo !!! :

« J’arrive à Mexico City, le samedi 26 juillet, en pleine nuit. Des petites lumières partout. La station de bus centrale ressemble à un aéroport tellement elle fourmille. Je vais rapidement acheter un billet de taxi pour monter dans un véhicule autorisé. Pas de blague, quand même, on m’a prévenu d’être vigilant… Toutes ces histoires de taxis véreux font flipper : “Si on vous braque, ne résistez surtout pas ! Donnez ce que vous avez…” Le type qui m’embarque est un peu bourru. Et sa bagnole bien pourrave. Les amortisseurs sont déglingués. Les ressorts de son siège arrière me font mal au cul lorsqu’on passe sur les pavés humides… Ce voyage m’aura fait mal au cul, en général… Même pour écrire ce livre, j’ai mal au cul. Être écrivain, c’est passer beaucoup de temps sur son cul. Donc avoir mal au c…
Les rues me semblent étrangement calmes. Mais j’oublie qu’il est tard et qu’on est samedi. Je m’attendais peut-être à des feux d’artifice en mon honneur… ça va venir.
Jorge Villanova, l’ami de Liz, copine de Guieu, m’attend chez lui à près d’1 heure du mat’. Le taxi a du mal à trouver sa rue dans le quartier de Coyoacán. Jorge est chauve et ressemble à Homer Simpson. Nous buvons une bière avec son frère, puis il me montre la chambre où je vais dormir. Je suis un veinard : j’ai le cul bordé de nouilles !!! Ma chambre est au premier étage, sur le toit de sa maison, au milieu des arbres, dont les cimes caressent la terrasse. J’ai l’impression d’être dans une cabane en forêt. Avant de dormir, j’allume le cigare offert par l’ami Kyle de San Diego, que je savoure comme jamais : c’est ma récompense, ça y est, je suis à Mexiiicooo !!! À 9 000 kilomètres de chez moi. Vingt ans après mon premier voyage en Amérique. Je suis allé plus loin… Plus près de toi, Jack. Je me souviendrai longtemps de ce Romeo y Julieta, fumé lors de ma première nuit à Mexico, Kyle… Thanks again.
Ce fut un long voyage de deux jours y dos noches, en bus à travers le Texas, le long de la frontière où ces cons de flics Robocop m’ont montré l’étendue du problème migratoire : vérification d’identité en pleine nuit. Il faut que je fasse gaffe aux clichés. Tout est cliché pour le lecteur de Libé blasé… Kerouac faisant la fiesta à Tijuana, cliché ? Cliché la maison, transformée en musée, de cette sacrée Frida Kahlo ? Clichés les flics qui harcèlent et surveillent les partisans de l’Armée zapatiste de libération nationale, l’AZLN ? Cette époque est bizarre. Le sujet est toujours débordé par le débat autour du sujet. Exemple : des travailleurs séquestrent un patron pour défendre leur bifteck. Mes chers confrères débattent sur le thème de la violence physique sans essayer de comprendre pourquoi on en arrive là ? Pareil pour toi et la route, Jack. Tu vas voir…
Mi casa es tu casa, m’a dit Jorge.
Tu libro es mi libro, Jacko…
Ton livre est mon livre. Mon livre est ton livre…
Ton livre ma maison. Ta maison mon livre.
Sur la route, en espagnol, ça donne : En el camino ou En la calle
En la carretera… ça le fait pas, quoi !
Même Sur la route ça sonne moins bien qu’On the road.
Again ?
Le hasard existe-t-il ? Je vais finir par en douter. Lorsque j’ai débarqué à Los Angeles, l’un de mes amis m’a hébergé à Venice Beach, le quartier “beat” par excellence. Coup de bol ?! J’arrive à Mexico pour la première fois de ma vie, et l’amigo Jorge habite à Coyoacán, près de la maison aux murs indigo de Frida Kahlo. Si c’est pas de la chance, ça ! Sa maison est d’un bleu azur, turquoise, d’une beauté lumineuse. J’ai senti sa présence, comme j’avais senti celle d’Hemingway à La Havane, de London à Glen Ellen et des sœurs Brontë à… Haworth (bbrrrr), près de Bradford, dans le Yorkshire : c’était d’un lugubre ! À Mexico City, tout le contraire. J’avais l’impression que Frida m’observait, avec ses yeux de chatte, depuis le toit de sa maison envahie de touristes. J’ai vu ses corsets, sa chaise roulante (j’aurais pu la toucher) et ses livres marxistes. Elle était devenue l’amie de Trotski, mon autre voisin du coin. Et de la grand-mère de Jorge, que je découvre être d’une bonne famille… Des lettrés de la grande bourgeoisie mexicaine, issue d’Espagne, de Catalogne plus précisément. Sa mère est poète. Et sa grand-mère a connu Kahlo : “Elle passait pour une originale à l’époque”, m’explique Erika, la femme de Jorge, d’origine hongroise, qui joue du clavecin et donne des cours d’anglais. Non, je ne suis pas chez les plus démunis… Tu n’y étais pas non plus, Jack. Soyons sérieux. Même si Bill et tes amis poètes étaient fauchés et côtoyaient le milieu interlope, vous aviez de quoi manger, boire, fumer.
Vingt-cinq millions d’habitants à Mexico, et toi et moi et toi et moi, Jack.
J’imagine ta tête quand tu as débarqué ici, toi le fils de Lowell, ce patelin si petit… Il y a de quoi avoir le vertige, faut dire. Même pour un titi parisien comme moi. Je ne sens pas les effets de l’altitude mais ceux de l’alcool et de l’herbe, oui. Je loge dans un véritable nid-d’aigle. Jorge se sert de cette chambre, située sur le toit, pour fuir le foyer qu’il trouve parfois étouffant… On dirait une chambre d’étudiant. Ça me va… Je suis un éternel adolescent. Le fils de Jorge et Erika est trop gâté, je le remarque d’emblée. Encore un enfant roi.
Je prends rencard avec Claudia (une amie d’ami) à la Casa de los Azulejos, Calle Mader. C’est dans cette superbe demeure de style colonial que Pancho Villa et ses compagnons d’armes, des va-nu-pieds, auraient débarqué pour dormir, après la révolution “victorieuse” ou presque… On dit aussi qu’il serait entré à cheval au restaurant La Opera, où il aurait tiré dans le plafond (on vous montre le trou précieusement conservé). Claudia est grande, grosse, blonde et moche, mais extrêmement gentille. Elle ressemble davantage à une Allemande qu’à une Mexicaine. À une baleine rose en fait… Elle me propose de visiter des musées. Je dis ok, car il faut que je me cultive. Le musée d’Histoire aztèque est de loin le plus impressionnant. Mais nous avons aussi visité le musée de l’Art et de la Caricature. Claudia est psy pour enfants et vit encore chez ses parents. Elle me demande ce que je pense des filles mexicaines… euh, “très jolies”, je dis par politesse, alors que je pense le contraire en mon for intérieur. Vraiment pas terrible à Mexico. Mais je viens d’arriver et ne connais pas le reste du pays. À part Liz, Mexicaine de Mexico, mariée à un Sicilien jaloux, je n’ai rien vu de très bandant. Surtout pas de Pocahontas ni de belles “sauvages” d’Apocalypto, le film de Mel Gibson… Il y a bien Ana (autre amie de l’ami), mais elle est maquée à un gros con de Polonais antisémite qui ne rêve que de s’installer à Los Angeles. Et puis elle a la peau grasse, boutonneuse, et des seins tombants. Je dis ce qui est. On me dit sévère, alors que ce n’est que la vérité.
J’ai un peu mal au ventre, mais ça passe avec l’Imodium. Je prends tous les matins le métro à la station General Anaya et reste plus d’une semaine au lieu des trois jours prévus. J’adore Mexico. Lors d’une nuit pluvieuse, je relis des extraits de ta route, Jack. À un moment, Neal évoque le “siège vide de Dieu”… Dieu n’est plus là, écris-tu, et vous vous recueillez dans le silence de son départ. Tu ne savais pas ce qui t’arrivait, avant de te rendre compte que vous étiez en train de fumer du thé. Cela te fait penser que tout pouvait arriver – tu étais dans un état où l’on sait que tout est décidé à jamais. “Et vous vous envolerez tous vers la côte Ouest et reviendrez, titubant, à la recherche de votre tombeau.”
Oh ! Jacko… T’es pas gai. Depuis Les Idées noires de Dakar, qui ont suivi Les Idées noires de Denver et Les Idées noires de Harlem, ton pote Ginsberg expérimente la “Voix du jazz” : “Vous épinglez un dragon à votre chapeau, vous disait-il, et vous êtes au grenier avec les araignées qui vous courent au plafond.” Ses yeux vous lançaient des étincelles et il demandait à Neal :
“Pourquoi ne restes-tu pas simplement assis à te détendre ? Pourquoi est-ce que tu galopes tellement ?
— Oui ! Oui ! Oui !” répondait Neal.
Tu allais les voir et observais tout sans qu’ils le voient. Tu étais déjà un spectre. Le fantôme de la route. Au pays des hyènes et des spectres, comme dirait Volpi…
Mexique : tu écris ce mot et tu as tout dit. Un torrent d’images déferle : la révolution, les cartouchières, le sombrero, Frida Kahlo, Zapata, tequila, l’assassinat de Trotski, des moustaches brunes, des actrices pulpeuses – Salma Hayek, Dolores del Rio –, les mariachis, la fête des morts, les couvertures colorées, les santiags, Cortès, Carlos Slim, l’ex-homme le plus riche du monde… Le Clézio : ses grands textes sur le Mexique.
Mexico : 23 millions d’habitants, mégalopole démentielle, tohu-bohu, cahin-caha, brouhaha… La violence ? Pas pour moi, non. Je n’ai pas eu à changer 5 000 euros à la banque, non, pas de danger… Je n’ai même pas d’appareil photo. Je ne suis pas un touriste, je ne “fais” pas le Mexique. Je voyage au Mexique. Je déguste Mexico. Où je marche, marche, marche, comme partout où je voyage. Il faut marcher pour savourer : le Templo Mayor des Aztèques, par exemple… Juan Rulfo, Octavio Paz, Carlos Fuentes, Bolano aussi ont vécu longtemps ici. Aaahh !!! La Casa Azul, ce bleu magique, Kahlo for ever, ses scènes avec Diego Rivera, couleurs, odeurs de bouffe, musique, Teotihuacán, la cité où les hommes deviennent des dieux…
J’entends, je lis, et je vois des histoires terribles. La guerre, car il s’agit bien d’une guerre, entre les cartels de la drogue et la police, où l’armée a fait 5 300 morts en 2008, malgré 36 000 hommes déployés pour la contrer. Il y a environ mille enlèvements par an et les gangs de jeunes, les maras, grossissent au rythme de la crise.
J’ai lu un fait divers incroyable. Lors des combats de chiens clandestins, les maîtres lèchent leur bête avant l’affrontement, du museau à la queue, pour prouver qu’ils ne sont pas enduits de poison ou de graisse mêlée de verre broyé. Vous imaginez la relation entre ces pitbulls et leurs maîtres lécheurs ?! Qui se considère comme le dominant, le dominé ? Et je ne vous parle pas de Ciudad Juárez. Ciudad de la muerta, on devrait l’appeler. Killer City… Récemment le chef de la police y a démissionné, cédant aux narcos qui menaçaient d’abattre un flic tous les deux jours. Franchement, tu es bien où tu es, Jack. »
(p. 182-187)

L’hôte des tubes digestifs disponibles (p. 80-84)
Mes meilleurs amis sont écrivains (p. 231-234)
Extrait court
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