Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Mille formes d’habitat :

« L’habitat est un élément important de l’esthétique d’une île. Il est souvent différent de celui du continent, et cela n’étonne qu’à peine quand on connaît les difficultés d’acheminement des matériaux. Il se distingue aussi parfois de celui de l’île voisine, ce qui peut s’expliquer par la diversité géomorphologique : telle île est de granit, sa voisine est de schiste ; telle de basalte, sa voisine de sable. Mais surtout, l’habitat est révélateur de l’âme du lieu, de son caractère, de son histoire et de sa population. Une maison de caboteur a, au pignon, l’escalier sans rampe qui lui permettait de remiser les gréements sous le toit. Il conviendrait d’avoir le souci respectueux de ne pas fermer cet escalier lors d’une restauration éventuelle. La maison de pilote avec son toit à quatre pans, imposante, affiche quant à elle le rang social de son propriétaire. Les palmiers plantés à l’abri des murs de pierres ont été rapportés par les cap-horniers en mal de lest et de chargement au retour de leurs tours du monde à la voile. Les toits de chaume, indices d’un foyer trop pauvre pour s’offrir des ardoises, tiennent chaud en hiver et maintiennent la fraîcheur en été. Aujourd’hui on les voit se percer de Velux et autres baies vitrées sur des îles où l’on ne moissonne plus depuis longtemps.
Ainsi, la petite maison de pêcheur au toit de chaume ou d’ardoise, nichée avec quelques autres par îlots au fond de sentiers escarpés de l’Île-aux-Moines, où tout n’est que douceur, parfums et floraisons, côtoie sans heurt aucun la maison de capitaine aux œils-de-bœuf de granit et balcons de ferronnerie. Leurs habitants cohabitaient aux siècles passés, sachant bien que les uns ne pouvaient subsister sans les autres. Aujourd’hui, pêcheurs et cap-horniers ne sont plus que dans les souvenirs, les livres et la mémoire collective. Dans leurs maisons sont venus s’installer ou viennent en vacances des citadins qui, comme autrefois, se côtoient et apprennent les uns des autres, cependant qu’un habitat plus standardisé qui perd de son charme se développe et nuit à la singularité des lieux.
À Ouessant, à l’extrême pointe de la Bretagne, les maisons austères avec leurs hautes façades grises, leurs petites ouvertures et leurs deux cheminées en pignon où l’on brûlait faute d’arbres la lande et la tourbe, soufflent que la vie était et reste rude sur cette île balayée par les vents, ciselée par les courants et les tempêtes. Dans la lande et les bruyères paissent de rustiques moutons à la laine épaisse pour lutter contre la rigueur du climat. L’écomusée du Niou Huella donnerait envie de venir vivre là la vie sans artifice aucun du Ouessantin.
Cette spécificité de l’habitat se décline à l’infini. De l’autre côté de l’océan Altlantique, à Terre-de-Haut, dans l’archipel des Saintes en Guadeloupe, les simples frises de bois sous les toits de tôle des cases traditionnelles n’ont, si ce n’est la joie de vivre et les effluves épicés qui s’en exhalent, rien à voir avec les murs de briques rouges ou de pierres de taille des demeures de Gustavia, à Saint-Barthélemy, quelques milles seulement plus au nord, où les rues portent les noms et le drapeau les couronnes du royaume de Suède qui domina l’île au XVIIIe siècle. Même la case traditionnelle du pêcheur de Corossol est d’un vert d’eau plus scandinave qu’antillais. Elle a pourtant ses racines dans la terre de ses ancêtres. Elle est construite autour d’un gaïac, cet arbre dont on faisait autrefois les bateaux. Le père l’a planté à la naissance de son fils, le coupera à son mariage, et l’ossature de la maison viendra s’arrimer sur ce tronc. Elle sera ensuite recouverte d’essentes, tuiles de bois dont on fera également le toit. On pourrait presque dire qu’il y a plusieurs îles dans cette île pourtant si petite. La plus visible et la plus ostentatoire est bien naturellement le paradis fiscal avec son “carré d’or” et les cohortes de paquebots qui s’y arrêtent quotidiennement. La plus réelle est certainement ce rendez-vous intime de célébrités et de fortunes qui s’y cachent et s’y reconnaissent. Mais l’île est pour tous la douceur de vivre sous les alizés, la senteur du jasmin au lever du jour au-dessus de Marigot, les crissements d’oiseaux dans les palmes de l’arbre du voyageur, le clocher suédois sur les hauts de Gustavia qui égrène l’histoire de ce lieu où se sont attardés nombre de conquérants, dont Barthélemy, le frère de Christophe Colomb. C’est le sable de corail, la frégate qui indique au pêcheur les bancs de marlins bleus ou de dorades coryphènes, sa femme qui tresse et coud le latanier selon la tradition ancestrale, et la rencontre de deux sœurs au détour d’un chemin. Elles sont nées là, ont récolté le sel à genoux, vous offrent un petit verre de rhum qu’elles ont elles-mêmes “arrangé”, et descendent l’une à Lorient le samedi, l’autre à Gustavia le dimanche, suivre la messe et surtout écouter les histoires qui se trament et se tissent sur l’île. Leur île unique, dans la dentelle de turquoise de la Caraïbe, aux couleurs de l’hibiscus.
Le voyageur s’arrêterait-il aux îles Lofoten, au nord de la Norvège, s’il n’y avait les petites maisons sur pilotis rouge de Falun, où vivent les pêcheurs de cabillauds pendant les longs mois de l’hiver boréal et qui, imprégnées encore de l’odeur du matériel de pêche, l’accueillent lorsque le soleil brille encore à minuit ? Séjournerait-il sur l’île allemande de Sylt, en mer du Nord, sans les longs toits de chaume qui riment avec le vent qui fait s’envoler les dunes et ployer les oyats ? Goûterait-il la pléiade d’îles grecques s’il ne trouvait asile contre la chaleur brûlante dans les monastères blanchis à la chaux ? Sillonnerait-il Lewis ou North Uist, dans les Hébrides, s’il n’espérait le refuge des maisons aux vastes pans sans ouvertures et aux imposants toits de chaume qui les protègent du froid et du vent ?
Et que dire de Venise ! Si, avec l’inclinaison de ses palais et de ses maisons, la voûte de ses ponts qui crient le mouvement de la lagune et la menace inévitable de la vase et de l’eau, elle disparaissait tout à coup pour être remplacée par une ville neuve ? Qu’en serait-il de l’atmosphère, de la magie, du miracle ? Venise ne serait plus Venise. »
(p. 46-51)

Au rythme insulaire (p. 28-31)
L’inspiration du large (p. 65-69)
Extrait court
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