Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
L’ascension spirituelle :

« Malgré le poids permanent du réel, malgré l’ascèse et la rudesse de la vie du cavalier-voyageur, ou peut-être à cause de cela, lorsque celui-ci parcourt horizontalement l’espace se produit un double mouvement vertical : le cavalier descend dans le cheval, et s’élève spirituellement.
“Descendre dans le cheval” est une expression que les cavaliers connaissent bien. C’est plus qu’une expression même, plutôt une sensation. Quand les longues heures en selle donnent le sentiment que le corps s’y enfonce, que la selle devient plus profonde, quand on ne sent plus ses fesses usées, que la selle la plus confortable finit par sembler dure, quand on se sent littéralement collé au dos du cheval, la sensation de cette descente dans l’animal devient tangible. Le contraire des débuts, où le tape-cul marque la non-adhérence du dos du cavalier au dos de sa monture. Peu à peu, le cavalier se fond et se confond avec son cheval, les fesses soudées à la selle, le dos en harmonie avec le dos du cheval, les jambes au contact moelleux de ses flancs, les mains libres d’allumer une cigarette ou de fouiller dans les fontes en quête d’un paquet de gâteaux… Même lorsqu’il est à pied au côté de sa monture, l’un et l’autre forment un marcheur à six jambes, voilà tout. Car ils se doivent d’être exactement au même rythme, et le cavalier sait que ce rythme est plus rapide que le sien dans les montées et plus lent dans les descentes. En selle, l’union est de plus en plus étroite, de plus en plus solide, de plus en plus douce et naturelle aussi.
Cette union naturelle que seul procure le temps long du voyage donne au cavalier une liberté d’esprit propre à son élévation. Après la descente dans le cheval se produit une ascension spirituelle. Non que le voyageur n’ait plus besoin d’être vigilant face aux risques du voyage, mais cette vigilance est devenue si intrinsèque qu’elle ne mobilise plus son esprit. Et voilà que cet esprit se met lui aussi à vagabonder… En fait, le cavalier, en montant sur son cheval, s’élève imperceptiblement, non seulement physiquement, mais encore spirituellement, à force d’ascèse, à force de longues heures solitaires où son esprit est libre d’errer, plus loin encore que le couple cheval-cavalier, plus loin et plus haut. De là vient sans doute que chez les Celtes, la rune ehwaz, qui signifie “cheval”, est la rune des voyages chamaniques.
Cette ascension spirituelle finit par transformer tout voyageur à cheval en chevalier errant et tout voyage dans l’espace en un voyage dans le temps. Quelle que soit l’époque, celui qui fait du chemin avec sa monture finit tôt ou tard par renouer avec les pratiques chevaleresques, le désir de Graal et l’éthique courtoise. Cette éthique naît de son mode de vie. À cheval par tous les temps, le corps devient solide, voire brutal. Les muscles durcissent, la peau se tanne, les mains deviennent des mains de paysan à force de manier les sacs de grain, les seaux d’eau, de prendre les pieds du cheval, de se frotter à lui. Mais l’animal, cette masse de 600 kilos, est aussi un cœur tendre qu’il convient de ne pas malmener. C’est par la douceur qu’on obtient sa coopération dans les passages difficiles et son calme en toutes circonstances. Cette douceur du cheval donne au cavalier un cœur de plus en plus raffiné, une forme particulière d’élégance et de délicatesse, qui s’exprime non par les mots, mais par les actes. Le chevalier errant est cet être du dévouement à l’autre. S’il n’y avait eu ce nécessaire soin de la monture, je ne crois pas que l’amour courtois aurait été inventé par les poètes. Car avant d’être un amour platonique pour la Dame lointaine, l’amour courtois est peut-être l’amour interespèces du cavalier et du cheval. Une affection soucieuse et désintéressée qui a conscience qu’on ne peut ni asservir ni posséder l’autre, simplement en prendre soin et conserver ses bonnes grâces. Un amour sans désir de fusion ni besoin d’autonomie, qui se contente d’être avec tout en restant pourtant séparé.
La plupart des cavaliers-voyageurs ne gardent pas leur monture après le voyage, le plus souvent parce qu’ils ne peuvent pas la ramener des terres lointaines où s’est déroulée leur pérégrination. On leur demande souvent si cet abandon n’est pas trop douloureux. En général, ils trouvent à leur monture un bon propriétaire qui va lui assurer une existence satisfaisante, et c’est tout leur bonheur. Ils savent que le cheval n’est pas un bien de consommation mais un être vivant. Tant que son bien-être est assuré, ils sont heureux, comme des parents qui voient leurs enfants s’éloigner sans tristesse, dès lors qu’ils s’épanouissent. »
(p. 60-64)

Désir d’ensauvagement du monde (p. 18-22)
Une forme de centaurisation (p. 69-73)
Extrait court
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