Collection « La clé des champs »

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Couverture
Vallée de Lhassa – Tibet :

« À toute heure du jour ou de la nuit, des pèlerins s’inclinent devant le Jokhang, principal temple de Lhassa. Jeunes ou vieux, laïcs ou religieux, ils sont tous unis dans la prière. Leurs prosternations ressemblent à une danse silencieuse. Après avoir joint les mains au-dessus de la tête, au front puis au cœur en signe de respect du corps, de la parole et de l’esprit, ils s’allongent en posant le front à terre. Les cinq points du corps en contact avec le sol doivent permettre à la colère, l’ignorance, l’orgueil, la jalousie et le désir de quitter leur enveloppe charnelle pour se perdre dans les profondeurs de la Terre…
Le Jokhang est avec le mont Kailash un des lieux les plus sacrés du lamaïsme. Le temple abrite la statue de Jowo, représentation de Bouddha qui aurait été sculptée de son vivant. Ou qui, comme certains le pensent, se serait formée d’elle-même… Cette statue aurait été offerte au VIIe siècle par l’épouse chinoise du premier roi bouddhiste du Tibet, Songtsen Gampo, qui a unifié le pays et y a introduit le bouddhisme.
La ferveur des dévots nous fascine. Nous restons de longs moments assis devant le temple, les micros discrètement calés entre les genoux, bercés par l’ambiance du flot des pèlerins qui récitent des mantras, du son des mains qui frottent contre le sol, du bruissement des habits sur les pavés. Puis nous pénétrons dans le temple, dans une obscurité aux relents de sueur et de graisse fondue. Le Jokhang n’a pas le faste et les trésors du Potala, où le nombre de touristes excède de beaucoup celui des pèlerins. Mais ce temple dégage une atmosphère particulière, mélange de piété et d’histoire, symbole d’une foi toujours vivante. Nous sommes conscients de la chance que nous avons d’être ici, et nous avons une pensée émue pour les jeunes Tibétains rencontrés à Dharamsala, qui n’ont encore jamais vu leur patrie.
Autour du Jokhang, de nombreux fidèles parcourent le Barkhor, l’un des trois circuits sacrés qui entourent le temple. De l’aube à la nuit tombée, c’est un défilé de pèlerins venus de tous les coins du Tibet, du Cham, de l’Amdo ou du Changtang : costumes traditionnels chatoyants, manteaux en peau de mouton, chapeaux de cow-boy, cheveux tressés et cousus de turquoises… Munis de moulins à prières manuels qu’ils font tourner tout en marchant, ils se livrent à d’inlassables circumambulations autour du Jokhang en récitant des prières.
Un pèlerin, vêtu d’un tablier de cuir et pourvu de planchettes de bois sous les mains, s’avance lentement vers nous. Il se prosterne tous les trois pas et ce depuis son village, éloigné de centaines de kilomètres. Son pèlerinage dure depuis des mois, peut-être même des années. Admiré et considéré de tous, il vit de mendicité. Les passants lui donnent volontiers, car faire l’aumône est une mise en pratique de la compassion enseignée par le bouddhisme.

Non loin du Barkhor, dans une rue étroite et fréquentée, deux voix puissantes et rauques émergent du bruissement de la foule. Assises à même le sol, deux nonnes psalmodient des mantras au milieu des passants. Nous essayons par geste de leur faire comprendre que nous souhaitons les enregistrer, leur montrant le casque et les microphones. Elles sourient timidement, rougissent, rient, puis l’une d’elles, Jumi Padma, accepte de chanter pour nous.
Les difficultés commencent lorsque nous cherchons un endroit tranquille et discret alors que notre simple présence, bien intrigante il faut le dire, suffit chaque fois à attirer tout le quartier. Et, bien sûr, une marmaille aussi nombreuse que reniflante… Dans une cour intérieure, sous les yeux intrigués d’une dizaine de gamins, Jumi entonne une mélopée sur les quatre paroles du Mani, le célèbre mantra “Om Mani Padna Hum”. Le Mani invoque la divinité Avalokiteshvara, Bodhisattva de la compassion, appelé aussi Chenresi au Tibet. En répétant ce mantra, la nonne s’identifie à Chenresi afin de développer ses qualités de compassion et d’amour. La traduction du Mani est difficile et revêt plusieurs niveaux de compréhension selon “l’éveil” du récitant. On peut le traduire par “Om, le Joyau et le Lotus, Hum”. Les sons Om et Hum n’ont pas de signification littérale. Prononcés d’une façon particulière, ils ont une qualité à la fois méditative et symbolique. Le Joyau et le Lotus ont plusieurs significations, dont l’une associe au Lotus l’évocation du Dharma, la voie bouddhique. Le Joyau est alors associé à la vérité libératrice qui est enclose dans le Dharma. Ce mantra est extrêmement courant, on le retrouve gravé sur les moulins à prières, sculpté sur des pierres ou inscrit sur les drapeaux. Les dévots le récitent tout en continuant leur travail, ce qui leur permet de pratiquer le bouddhisme à n’importe quel moment du jour.
Pour chanter le Mani, Jumi Padma utilise une technique vocale originale, bien différente des pratiques vocales occidentales. Sa voix, placée très haut, ne contient aucun vibrato et semble toujours à la limite de la saturation physiologique. Les longues phrases musicales dénotent une maîtrise du souffle peu commune. Essoufflée, elle nous salue et nous gratifie de sourires qui compensent les difficultés de communication.
Nous sommes réconfortés par cet échange chaleureux qui contraste avec les premières rencontres tibétaines. Depuis la frontière du Népal, nous n’avons été abordés que par des solliciteurs. Ici, les Tibétains nous offrent des sourires “pour rien”, nous abordent avec des gestes de bienvenue et engagent facilement la discussion quand ils parlent anglais. Un instituteur nous explique la situation difficile que vit le Tibet aujourd’hui. Il nous confie sa peine de ne pouvoir enseigner le tibétain dans son école, car le gouvernement l’interdit. Tout en parlant, nous guettons du coin de l’œil les policiers chinois qui, à chaque angle du temple, surveillent la place du Jokhang. »
(p. 82-84)

Ladakh – Ouest himalayen (p. 16-18)
Sikkim – Est himalayen (p. 102-104)
Extrait court
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