Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
L’hôte des tubes digestifs disponibles :

« Partout dans le monde, on parle beaucoup pour ne rien dire… Ici, comme ailleurs, je regarde les gens s’agiter, et parler pour ne rien dire. Celui-là me fait penser à Buster Keaton, l’autre à Harold Lloyd. Ma fille ne connaît pas Charlie Chaplin et Laurel et Hardy la laissent froide. Abbot et Costelo sont oubliés. Nous vivons pourtant toujours dans le monde des Monthy Python, de Brazil, de Pierre Étaix et de Jacques Tati. Je sais que ce livre finira, comme les autres (souvent les plus illustres), sur l’étal d’un bouquiniste à gros nez rouge et aux cheveux gras, face à la fontaine Saint-Michel. Derrière coulera la Seine, en charriant son lot de… Bon, allez, hauts les cœurs ! Comme me dit mon cœur.
Arrivé à Denver, tu cherches Carlo Marx (alias Allen Ginsberg dans la version originale sans chapitres, d’un seul tenant). Ton pote Hal Chase (Chad King) a décidé de ne plus être l’ami de Neal (Dean), donc de Ginsberg… De vrais mômes dans une cour de récré. Il décide de quitter la bande… Des enfantillages. Des enfants pas sages. Et toi, tu prétends arriver dans cette guerre passionnante, avec comme un arrière-goût de lutte des classes, dis-tu… Neal est le fil d’un ivrogne, un des clochards les plus titubants de Larimer Street. Son fils plaidait sa cause au tribunal à 6 ans, et mendiait dans les rues pour lui rapporter de quoi picoler. Puis Neal s’est mis à glander dans les tripots et à faucher tellement de bagnoles qu’il établit une sorte de record dont on parla longtemps dans les maisons de correction. Tu vois en ce môme perdu à l’énergie furieuse de vivre une nouvelle espèce, américaine, de saint, et dans Allen une sorte de monstre des bas-fonds ; du moins c’est l’effet qu’il se donne… Ginsberg a une piaule dans un sous-sol de Grant Street, où tu passas quelques nuits à ne pas dormir jusqu’au lever du jour. Tu racontes comment tu n’arrives pas à dormir, déjà, à cause d’une machine à air conditionné fabriqué par le père d’Hal Chase… Tu as froid, tu descends les escaliers et écoutes parler cet homme qui se nourrit de souvenirs. Encore un homme dont la tête est une forêt. Il invente des trucs, ne trouve pas les moyens de déposer les brevets et dit se faire piquer ses idées. Mais où donc était Neal ?
Moi, j’appelle Kevin Bill, pour lui annoncer mon arrivée, et lui indique que je serai à San Francisco vers 11 heures 45 du matin. (En fait, c’était l’après-midi, je m’étais trompé… Une petite erreur sans conséquence fâcheuse.) Toi, c’est Ginsberg qui t’appelle chez un de tes potes. Il te donne l’adresse de son sous-sol : “Qu’est-ce que tu fous ?” tu lui demandes. Question récurrente. “Attends, je te raconterai”, il te répond. Il n’a pas fini de te répondre, d’ailleurs… C’est ça qui est bien avec les livres. Vous vous parlez encore. Les morts se parlent. Sartre parle à Camus, Kerouac écoute Ginsberg… Tu fonces le rejoindre. Quelqu’un est mort… Mais Neal est à Denver.
“Où est-il ?
— Il faut que je te raconte…”
Et il te raconte que Neal entretenait deux filles en même temps. Louanne, sa première femme, et Carolyn, sa nouvelle femme. Chacune dans une chambre d’hôtel différente. Sacré Neal. Et entre les deux, il vient le rejoindre pour leurs affaires en cours.
“Et de quelle affaire s’agit-il ?”
Allen lui parle d’une aventure formidable, et ils s’efforcent de communiquer d’une manière absolument sincère et exhaustive en se disant tout ce qu’ils ont à se dire. Un peu comme moi, maintenant, lorsque j’essaie de t’écrire tout ce que j’ai à te dire, Jack. Sauf que vous prenez de la Benzédrine et que moi je ne sais même pas à quoi ça ressemble. Vous vous asseyez en tailleur sur le lit, l’un en face de l’autre, et tu finis pas apprendre que ce Neal peut faire tout ce qu’il veut : être maire de Denver, épouser une millionnaire, ou devenir le plus grand poète depuis Rimbaud… Non, ça, c’est Ginsberg. Mais que ça ne l’empêche pas de continuer à aller aux courses de voitures miniatures… hé hé… Z’étiez bien barrés les mecs. Vous me faites marrer à distance, dans le grand espace-temps. J’ai l’impression d’être là avec vous, à rire comme un bossu en mélangeant prose spontanée avec tout ce qui reste quand on a tout oublié… Hhheeeeyyyyy… Je viens avec vous. Jack, tu bondis. Allen te suit. Il se précipite tout excité, et moi je jette un œil sur les deux dernières autos de course qu’il me reste de mon circuit 24…
“Quel est l’emploi du temps ?” tu demandes. Car il y avait, malgré tout, toujours un emploi du temps dans la vie de Neal…
Allen te raconte qu’à partir de minuit environ, une fois que Neal a passé un peu de temps avec ses deux poules, il le rejoint pour parler… Et baiser aussi j’imagine, mais ça, tu n’oses pas l’écrire, même dans la version originale non expurgée, du moins à ce stade du récit. Tu te contentes de raconter comment Neal a connu Carolyn. Et comment tu n’as qu’une idée en tête : rejoindre ce démon. Vous vous mettez à traîner, Ginsberg et toi, dans les rues borgnes dans la nuit de Denver. L’air est doux et les étoiles si belles, si grandes de promesses que tu croyais rêver. Et vous allez frapper à la porte de Neal (Ginsberg se cache pour ne pas être vu de Louanne)… qui t’ouvre à poil. Tu aperçois sur le lit une cuisse voilée de dentelle noire.
“Tu te l’es enfin envoyée, cette vieille route !” gueule Neal en te voyant débouler. Et il tourbillonne vers sa future ex-femme pour lui dire en substance : “Écoute, chérie, Sal est en ville, il vient de New York et ne connaît pas Denver. Je dois absolument sortir avec lui et le caser avec une meuf.”
La fille gobe tout. Elle est très jeune, même pas 20 ans. Il promet de rentrer à 3 heures 14 exactement. Et poursuit son discours :
“Je dois m’habiller, enfiler ce froc, revenir à la vie, c’est-à-dire celle du dehors, aux rues et à Dieu sait quoi…
— D’accord, Neal, mais je t’en prie, sois réglo, rentre à 3 heures…
— Exactement comme je t’ai dit, Chérie, mais souviens-toi que ce n’est pas 3 heures mais 3 heures 14.” (Au mur, il y avait un dessin de Neal nu avec une queue géante, une œuvre de Louanne.)
Vous vous ruez dans la nuit de Denver. Ginsberg vous rejoint dans une ruelle tortueuse. On dirait trois mômes qui s’apprêtent à faire des conneries. Neal tient vraiment à te présenter une fille. Allen lui ne veut que discuter avec lui. Et toi, tu observes et enregistres tout ça.
“Ah ! les idées noires de Denver (Oh these Denver doldrums !), crie Ginsberg au ciel. [Ce sera l’un de ses premiers poèmes publiés.]
— N’est-il pas le plus délicieux des potes du monde ?” déconne Neal en te bourrant les côtes, mort de rire pendant qu’Allen entreprend sa danse du singe.
Mais tu ne trouves rien d’autre à dire que : “Qu’est-ce que nous foutons à Denver ?” Neal te répond qu’il a une idée de boulot pour toi, mais qu’en attendant ils sont tous raides, qu’il n’a pas travaillé depuis des semaines… Des amis vous rejoignent. Vous partez picoler, déconner, peloter des filles. Ginsberg veut toujours parler avec Neal mais Neal doit rentrer à l’heure dite. Tu perds les clés de l’appartement qu’on t’a prêté, tu es pété, le proprio gueule. Te voilà à la rue, sans un sou. Ton dernier dollar s’en est allé dans ton gosier. Les nuits sont fraîches à Denver, surtout quand on est fauché.
J’ai laissé mon sac à la consigne et vais me promener. Très vite, j’arrive dans la rue principale, commerçante, près du Mall. Il y a des concerts de musique partout. Ils fêtent encore le 4 Juillet. Les filles ne sont pas terribles. 16e rue, Cheyenne Street. Un cow-boy trimballe des touristes chinois en calèche. Je me demande si les immeubles étaient déjà si hauts, à ton époque, Jack. Grattaient-ils le ciel ? Les montagnes n’ont pas bougé, elles, c’est sûr. Non mais t’imagines le nombre d’écrivains qu’elles ont vu passer, sans se démonter ?! Il y a des malls et des Farmers’ Markets dans toutes les grandes villes américaines, qui se ressemblent tous.
Je m’assois près d’un beau spécimen de SDF local. Black, maigre, en short, sandales, chemise bleue hawaïenne, et crête iroquoise. Il fait semblant d’être en communication… avec son téléphone portable. En fait avec lui-même. Je l’observe longuement. Il se parle. Je vois passer des cohortes de familles grassouillettes et remarque les poussettes avec l’emplacement prévu pour les boissons, comme dans les voitures. Histoire de bien les habituer à être des consommateurs sur pattes, des tubes digestifs disponibles, comme leur cerveau. Pas étonnant que Wall-E, le dessin animé de Pixar, n’ait pas marché ici… L’Homo americanus dans toute son horreur : obèse, inculte, toujours un truc à manger ou à boire à la bouche. »
(p. 80-84)

À Mexiiicooo !!! (p. 182-187)
Mes meilleurs amis sont écrivains (p. 231-234)
Extrait court
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