Collection « La clé des champs »

  • Himalaya
  • Nationale 7
  • Plumes des champs
  • Méditerranée
  • Ténéré
  • Diois (Le)
  • Paysans
  • Roues libres
Couverture
Australie – Tapis rouge latérite :

« La Yamaha arrive en Australie avec une vague de froid. Les nuits fraîches témoignent d’un hiver déjà bien installé à Fremantle. La facture du dédouanement est salée, lâcher 250 dollars australiens achève de me refroidir.
À l’évidence, une page se tourne. Si l’accent australien déroute au premier abord, l’anglais facilite la communication. La moto ne déclenche plus d’émeute quand des moteurs V8 ronflent en ville. Aucune demande en mariage lors des arrêts, c’est l’anonymat total. Si j’avais perdu un peu d’humilité depuis mon départ, je la retrouve vite ici. En dépliant la carte d’Australie, je prends conscience de l’immensité de l’île : quatorze fois la France ! Tant mieux, après deux semaines à attendre la moto, rouler devenait une obsession. Pourtant la côte Ouest se révèle désespérément plate. Le paysage lunaire du désert des Pinnacles et les dauphins de Monkey Mia me tiennent à peine éveillé. En passant le tropique du Capricorne, je me ressaisis. La route 136 quitte la nationale 1 à Nanutarra et promet quelques cailloux et gués à franchir. Je glisse sur ce chemin de traverse jusqu’aux gorges de Karijini. L’Australie déroule un tapis rouge devant mes roues, mais le comité d’accueil a rendu l’âme. Des kangourous, des renards et des vaches éventrées gisent de chaque côté. Les road trains n’ont jamais le temps de freiner ! Ces énormes camions à trois remorques, qui pallient la pauvreté du réseau ferroviaire, ne sont pas effrayés par le tout-terrain. La piste se rétrécit au hasard des embranchements. En fin de journée, le sentiment de m’être perdu se dessine aussi nettement que l’ombre de la moto. Au moins, je suis sûr de rouler plein est : l’ombre s’étire de plus en plus devant moi. Qu’importe, j’ai trouvé les couleurs de l’Australie. La terre ocre, le ciel azur et la Voie lactée. J’installe le bivouac. Au petit matin, le soleil et la lune s’observent timidement. L’un rougit, l’autre s’efface. Ils manquaient ce rendez-vous depuis tant d’années.
Impact dans 3 secondes. 3, 2, 1… Debout sur les freins, la moto part en travers dans la poussière. Le chameau est passé près ! À traverser la piste devant mes roues, le malheureux a bien failli se briser les os. Sans parler des miens. J’y pense, que vient fiche un chameau en Australie ? Introduits pour leur aptitude à survivre dans le désert, certains sont devenus sauvages. Nombre d’espèces animales présentes sur l’île sont arrivées avec les Britanniques. Elles ont ravagé la faune et la flore originelles, tandis que les colons se chargeaient des Aborigènes. Mépris et fracture sociale restent d’actualité. Qu’en penses-tu, Heinz ? Rencontré dans les gorges de Windjana, “Ketchup” vient poser les roues de sa vieille BMW 80 GS sur la latérite. Mais la poussière sur son cuir date de quelques années. Il garde le souvenir de l’Afrique, un précédent voyage. Calme, scientifique, le grand Allemand pèse ses mots. Quand nos guidons jouent du contact sur la piste sableuse, pas besoin de long discours. C’est l’extase. La tôle ondulée nous oblige à adopter une vitesse indécente, la poussière à rouler côte à côte. Éternels campeurs, les Australiens nous invitent souvent à partager leur barbecue. Trois nations taillent la bavette autour d’un steak de kangourou. Kununurra sonne la fin de l’aventure. Heinz continue vers le sud, je pars à l’opposé. Orientées selon le Nord magnétique, les termitières géantes tracent une voie sacrée vers la terre d’Arnhem. Dans cette région convoitée, un programme engagé en 1976 a vu la première restitution de terres aux Aborigènes. Une longue attente pour un peuple bafoué par les Blancs. Je suis la bande blanche peinte sur l’asphalte jusqu’à Broome. Plus au nord, Darwin affiche des températures estivales et un charme indéniable. Le son envoûtant du didgeridoo m’emporte jusqu’au joyau de l’Australie, le parc de Kakadu. Depuis vingt mille ans, les Aborigènes peignent leur vie sur les rochers Ubirr et Nourlangie. Leur culture demande l’humilité devant la nature. À l’aube, les galah au plumage rose lancent les premières notes d’un concert sauvage dans l’outback. Un crocodile glisse sur la rivière Wildman. La terre est belle par ici…
Fief de la culture aborigène, Alice Springs semble perdue au milieu du désert. Pourtant, le tourisme et son industrie ont envahi la ville. L’art ancestral est aseptisé, les artistes souvent exploités. Humanistes s’abstenir. Mais Uluru survivra. Le mythique Ayers Rock s’élève majestueusement à l’orée du désert de Gibson. Sa couleur change au coucher du soleil. Le cliché a fait le tour du monde mais le monolithe continue à impressionner. Voire à rendre fou. La poste d’Alice Springs reçoit chaque année des kilos de pierres dérobées. Des petits malins rapportent chez eux un bout d’Australie sacrée, ignorant la malédiction des Aborigènes. Le colis est toujours accompagné d’un message explicite, suppliant les rangers de déposer son contenu au pied du rocher. La vie de l’expéditeur serait devenue un enfer. Il était si beau ce caillou pourtant sur sa cheminée ! À une trentaine de kilomètres, les monts Olga rivalisent de beauté. C’est là que je retrouve Heinz par hasard. Toujours en vie mais couvert d’hématomes. La veille, “Ketchup” s’est répandu sur le gravier. Ne serait-il pas venu lui aussi restituer un bout du rocher ? Un guidon peint en rose déniché dans une casse, il s’est remis en selle. Nous roulons quatre jours jusqu’à Coober Pedy. Une atmosphère étrange plane sur la ville troglodyte. Des hôtels aux administrations, tout est underground. À la recherche d’opales, les habitants creusent la terre aride mais généreuse. Mad Max III a trouvé son décor dans ces immenses plateaux désolés. Heinz et moi nous serrons la main. Nos chemins se séparent, une amitié naît. Je m’engage sur la célèbre piste Oodnadatta. Deux dingos, des chiens sauvages, fuient dans l’immensité. Un vent violent couche la moto, le sable entre dans mes narines. Asséché, le lac Eyre n’est plus qu’une étendue saline qui crépite sous les roues. Les derniers rayons du soleil scintillent dans les cristaux blancs quand je sors le duvet. Le matelas est posé à même le sel. Pourquoi se priver du spectacle, enfermé dans une tente qui du reste se serait envolée ? Je commence à compter les étoiles. La nuit s’annonce inoubliable. Demain, je découvrirai une autre Australie, moins rouge et plus habitée. J’arrive en vue de la côte Sud par les monts Flinders, où les kangourous se comptent par milliers. Parfois, ils daignent parcourir un bout de chemin avec moi avant de disparaître dans les bois. Seule l’Océanie peut offrir ces instants magiques. Je pose enfin mes roues sur la Great Ocean Road qui relie Adélaïde à Melbourne la cultivée. Les pluies sévissent dans l’État de Victoria. De Lithgow à Penrith, les Blue Mountains assurent le spectacle et une voie d’accès à Sydney, un rien stéréotypée, à l’image de la Gold Coast, paradis pour surfeurs. L’Australie retrouve sa superbe au cap Tribulation, domaine des marsupiaux et des oiseaux chanteurs. La rivière Daintree est infestée de crocodiles. Chaque année, un insouciant finit dans l’estomac d’un sac à main. »
(p. 26-31)

Bolivie – Une odeur de sapin (p. 64-69)
Sénégal & Gambie – Huit ans… j’ai dû faire un détour (p. 102-105)
Extrait court
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.