Éloge du potager :
« D’une certaine façon, sans potager, nous ne serions guère supérieurs à la vache. C’est le potager qui signe notre humanité. Et, il faut bien le constater, à côté des clochers et des vaches, il est la troisième grande affaire de ceux qui vivent à la campagne. Peut-être même la plus importante, celle qui pourra décider le citadin à quitter la ville pour s’établir ailleurs autrement. Nous le savons depuis Voltaire, même si la phrase fameuse qui conclut Candide signifie tout autre chose : “Il faut cultiver notre jardin.” Espace à fonction vivrière, mais aussi lieu symbolique et onirique, il semble être si fondamental à notre époque que l’on constate un retour en vogue des jardins ouvriers dans les banlieues et que l’on voit apparaître un peu partout des jardins partagés. Il fait la fierté des campagnards, qui le bichonnent, le font visiter, et qui offriront volontiers leur excédent de courgettes, cultivant de surcroît les liens de bon voisinage. Sa place économique ne cesse de grandir dans le monde rural, et le supermarché du bourg où je m’approvisionne a construit l’an passé une extension d’une superficie considérable pour y installer son traditionnel rayon jardinage qui se trouvait à l’étroit. Mini-exploitation agricole, il nous remet sur la voie de la mythique autarcie. Les tomates que nous y cultivons ont de toute évidence un autre goût que celles du commerce. Ajoutez à cela que c’est bon pour la planète (moins de camions pour nous livrer, moins de déplacements pour nos courses), que l’on peut produire bio, que la famille mangera donc plus sainement, que fruits et légumes sont indispensables à notre équilibre alimentaire (“An apple a day keeps the doctor away”), que le potager préserve la biodiversité, que l’exercice physique est excellent pour la santé? : on ne sait par quel bout commencer pour décliner ses vertus et expliquer son pouvoir de séduction. Sans compter que les gamins adorent ça : semer, voir pousser les tournesols, nourrir les oiseaux avec les graines, resemer l’année suivante, etc. Comment peut-on vivre sans potager ? Sans doute inscrits dans notre cerveau reptilien, les travaux qui consistent à bêcher, semer, sarcler, récolter nous permettent de renouer avec les gestes ancestraux, de retrouver nos racines, de nous inscrire dans l’histoire de l’humanité qui, depuis qu’Adam a été chassé du paradis, travaille la terre à la sueur de son front. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cet engouement n’a rien de suranné, il est même le parangon de la modernité : compost, permaculture et carrés de culture sont autant de territoires d’exploration, les nouveaux laboratoires de la mouvance écolo. Et si, in fine, par paresse, par manque de temps ou d’aptitude, on en vient à renoncer à son potager, on en éprouve une incommensurable culpabilité, on se sent devenir un vulgaire périurbain, alors qu’on se rêvait néorural ! C’est un peu mon cas, je dois le reconnaître. J’entretenais autrefois plusieurs plates-bandes de légumes, et même une parcelle de fraisiers. Mes longues semaines d’absence estivale, pour cause de voyage, sans parents pour venir s’occuper de la maison, m’ont amené peu à peu à réduire les surfaces cultivées, puis finalement à renoncer. Ne me restent aujourd’hui que quelques arbres fruitiers, un pied de rhubarbe et des plants d’herbes aromatiques qui se débrouillent sans moi, et au fond du cœur la nostalgie des galettes cuisinées avec mes pommes de terre, mes oignons et mon persil, que je servais accompagnées d’une salade maison aux amis venus passer un week-end au vert. Je me console tant bien que mal, en me disant que j’apporte à présent mon soutien économique aux maraîchers bio du secteur? »
La poésie du clocher (p. 17-20)
Réinventer le village (p. 83-87)
Extrait court
« D’une certaine façon, sans potager, nous ne serions guère supérieurs à la vache. C’est le potager qui signe notre humanité. Et, il faut bien le constater, à côté des clochers et des vaches, il est la troisième grande affaire de ceux qui vivent à la campagne. Peut-être même la plus importante, celle qui pourra décider le citadin à quitter la ville pour s’établir ailleurs autrement. Nous le savons depuis Voltaire, même si la phrase fameuse qui conclut Candide signifie tout autre chose : “Il faut cultiver notre jardin.” Espace à fonction vivrière, mais aussi lieu symbolique et onirique, il semble être si fondamental à notre époque que l’on constate un retour en vogue des jardins ouvriers dans les banlieues et que l’on voit apparaître un peu partout des jardins partagés. Il fait la fierté des campagnards, qui le bichonnent, le font visiter, et qui offriront volontiers leur excédent de courgettes, cultivant de surcroît les liens de bon voisinage. Sa place économique ne cesse de grandir dans le monde rural, et le supermarché du bourg où je m’approvisionne a construit l’an passé une extension d’une superficie considérable pour y installer son traditionnel rayon jardinage qui se trouvait à l’étroit. Mini-exploitation agricole, il nous remet sur la voie de la mythique autarcie. Les tomates que nous y cultivons ont de toute évidence un autre goût que celles du commerce. Ajoutez à cela que c’est bon pour la planète (moins de camions pour nous livrer, moins de déplacements pour nos courses), que l’on peut produire bio, que la famille mangera donc plus sainement, que fruits et légumes sont indispensables à notre équilibre alimentaire (“An apple a day keeps the doctor away”), que le potager préserve la biodiversité, que l’exercice physique est excellent pour la santé? : on ne sait par quel bout commencer pour décliner ses vertus et expliquer son pouvoir de séduction. Sans compter que les gamins adorent ça : semer, voir pousser les tournesols, nourrir les oiseaux avec les graines, resemer l’année suivante, etc. Comment peut-on vivre sans potager ? Sans doute inscrits dans notre cerveau reptilien, les travaux qui consistent à bêcher, semer, sarcler, récolter nous permettent de renouer avec les gestes ancestraux, de retrouver nos racines, de nous inscrire dans l’histoire de l’humanité qui, depuis qu’Adam a été chassé du paradis, travaille la terre à la sueur de son front. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cet engouement n’a rien de suranné, il est même le parangon de la modernité : compost, permaculture et carrés de culture sont autant de territoires d’exploration, les nouveaux laboratoires de la mouvance écolo. Et si, in fine, par paresse, par manque de temps ou d’aptitude, on en vient à renoncer à son potager, on en éprouve une incommensurable culpabilité, on se sent devenir un vulgaire périurbain, alors qu’on se rêvait néorural ! C’est un peu mon cas, je dois le reconnaître. J’entretenais autrefois plusieurs plates-bandes de légumes, et même une parcelle de fraisiers. Mes longues semaines d’absence estivale, pour cause de voyage, sans parents pour venir s’occuper de la maison, m’ont amené peu à peu à réduire les surfaces cultivées, puis finalement à renoncer. Ne me restent aujourd’hui que quelques arbres fruitiers, un pied de rhubarbe et des plants d’herbes aromatiques qui se débrouillent sans moi, et au fond du cœur la nostalgie des galettes cuisinées avec mes pommes de terre, mes oignons et mon persil, que je servais accompagnées d’une salade maison aux amis venus passer un week-end au vert. Je me console tant bien que mal, en me disant que j’apporte à présent mon soutien économique aux maraîchers bio du secteur? »
(p. 42-45)
La poésie du clocher (p. 17-20)
Réinventer le village (p. 83-87)
Extrait court