S’échapper à la campagne :
« En voyage, le lecteur l’aura deviné, mes pas me portent plus volontiers vers la campagne que vers les villes. La ville est un enfer pour le marcheur : s’il y entre facilement, il doit d’abord subir la laideur des zones suburbaines, avec leurs hangars à chalandise, leurs halles à chaussures, leurs hyper et leurs drive. Ensuite, une fois au centre, la tâche se révèle rude également : les cyclistes sont un danger permanent pour qui veut marcher le nez en l’air, les feux de circulation demandent une attention de tous les instants, qui exclut qu’on se laisse aller à la rêverie. Mais surtout, rien de plus difficile que de sortir d’une ville à pied : quelle rue prendre ? à quel carrefour tourner ? Les immeubles cachent le paysage, on avance au jugé ; la ville est un redoutable labyrinthe, où l’on peut aisément s’égarer et perdre des heures avant de trouver son chemin. Et puis, les grands centres urbains ont quelque chose de toujours semblable. Les enseignes y sont toutes les mêmes, que l’on soit à Lille ou à Lyon. Les vitrines cachent l’architecture. Haussmann et consorts ont œuvré de façon identique un peu partout. Dans les villes, il faut aller vers les monuments, les fleuves ou les quartiers historiques pour sentir ce qui les différencie vraiment.
Rien de tel à la campagne. J’y échappe au monde marchand, à l’omniprésente publicité, à l’alignement vertigineux des vitrines, aux diktats de la société de consommation. Il y a plus de différence entre un village breton et un village provençal qu’entre deux artères commerçantes de capitales européennes. Et puis, une localité de cent âmes me fournira plus d’occasions de rencontre immédiate qu’une métropole d’un million d’habitants. Il suffit de s’y promener à pied. Tout pourra être prétexte à entamer une conversation : “Ça pousse ?” ou “Il fait chaud !” ou “Vous habitez un joli coin”. Essayez, auprès d’un homme penché sur sa bêche ou d’une mère assise à surveiller ses gosses sur son perron : vous engagerez aussitôt la conversation. Votre interlocuteur est trop heureux de cette diversion dans la monotonie de sa journée pour laisser filer la chance de bavarder un peu. Vous apprendrez l’histoire de la région, l’âge des enfants et de l’église, les intempéries qui cette année ont empêché les pommiers de fleurir, la légende qui est attachée à la fontaine où vous avez rempli votre gourde. Car les villageois souvent estiment plus leurs rares trésors que les citadins ne connaissent les richesses de leur ville, et ils seront ravis de les partager avec vous. »
La poésie du clocher (p. 17-20)
Éloge du potager (p. 42-45)
Réinventer le village (p. 83-87)
« En voyage, le lecteur l’aura deviné, mes pas me portent plus volontiers vers la campagne que vers les villes. La ville est un enfer pour le marcheur : s’il y entre facilement, il doit d’abord subir la laideur des zones suburbaines, avec leurs hangars à chalandise, leurs halles à chaussures, leurs hyper et leurs drive. Ensuite, une fois au centre, la tâche se révèle rude également : les cyclistes sont un danger permanent pour qui veut marcher le nez en l’air, les feux de circulation demandent une attention de tous les instants, qui exclut qu’on se laisse aller à la rêverie. Mais surtout, rien de plus difficile que de sortir d’une ville à pied : quelle rue prendre ? à quel carrefour tourner ? Les immeubles cachent le paysage, on avance au jugé ; la ville est un redoutable labyrinthe, où l’on peut aisément s’égarer et perdre des heures avant de trouver son chemin. Et puis, les grands centres urbains ont quelque chose de toujours semblable. Les enseignes y sont toutes les mêmes, que l’on soit à Lille ou à Lyon. Les vitrines cachent l’architecture. Haussmann et consorts ont œuvré de façon identique un peu partout. Dans les villes, il faut aller vers les monuments, les fleuves ou les quartiers historiques pour sentir ce qui les différencie vraiment.
Rien de tel à la campagne. J’y échappe au monde marchand, à l’omniprésente publicité, à l’alignement vertigineux des vitrines, aux diktats de la société de consommation. Il y a plus de différence entre un village breton et un village provençal qu’entre deux artères commerçantes de capitales européennes. Et puis, une localité de cent âmes me fournira plus d’occasions de rencontre immédiate qu’une métropole d’un million d’habitants. Il suffit de s’y promener à pied. Tout pourra être prétexte à entamer une conversation : “Ça pousse ?” ou “Il fait chaud !” ou “Vous habitez un joli coin”. Essayez, auprès d’un homme penché sur sa bêche ou d’une mère assise à surveiller ses gosses sur son perron : vous engagerez aussitôt la conversation. Votre interlocuteur est trop heureux de cette diversion dans la monotonie de sa journée pour laisser filer la chance de bavarder un peu. Vous apprendrez l’histoire de la région, l’âge des enfants et de l’église, les intempéries qui cette année ont empêché les pommiers de fleurir, la légende qui est attachée à la fontaine où vous avez rempli votre gourde. Car les villageois souvent estiment plus leurs rares trésors que les citadins ne connaissent les richesses de leur ville, et ils seront ravis de les partager avec vous. »
(p. 59-61)
La poésie du clocher (p. 17-20)
Éloge du potager (p. 42-45)
Réinventer le village (p. 83-87)