Deux cônes velus :
« Tout commence par les oreilles. Portées en avant comme des voiles hautes ou agitées comme les bras d’un signaleur aérien, elles fouillent l’espace, captent les vibrations, analysent les molécules de l’air. Elles m’ont vue ! L’âne relève la tête de son seau de grain et fixe la petite fille. Un grand œil étonné sous un sourcil touffu. L’enfant d’un geste est empoignée par deux mains solides, ses pieds nus sont soulevés du sable tiède, et elle est déposée en douceur sur le dos laineux. Ses jambes pincent à peine un ventre chaud de toute la bonté du monde.
L’âne était si rare, en ce temps-là, qu’on ne le voyait guère qu’au bord de la mer, à promener les enfants. Du clapotis dans l’écume renouvelée, de la brise de mer gonflant mes cheveux, ma mémoire ne retiendra que deux cônes velus posés sur l’horizon.
Pendant trois ans, en famille, nous avons sillonné les chemins d’Europe de l’Ouest au rythme de nos ânes, côte à côte, corps à corps. Comme d’autres larguent les amarres et hissent la grand-voile pour atteindre la haute mer, nous avons dénoué les longes et mis le cap sur l’inconnu. N’importe quel rivage pouvait servir de limite. Les enfants et les ânes composeraient, sur une portée qui finirait par le roulement des vagues sur la côte portugaise, au bord de l’Atlantique, une musique de bottines sur le schiste qui craque, la craie qui s’écrase, le granite qui roule, avec en contrepoint le battement des sabots sur le bitume ou les foulées sur l’herbe. »
À l’écoute de son compagnon (p. 34-36)
Un sobre gourmand (p. 44-46)
L’âne en fête (p. 63-65)
« Tout commence par les oreilles. Portées en avant comme des voiles hautes ou agitées comme les bras d’un signaleur aérien, elles fouillent l’espace, captent les vibrations, analysent les molécules de l’air. Elles m’ont vue ! L’âne relève la tête de son seau de grain et fixe la petite fille. Un grand œil étonné sous un sourcil touffu. L’enfant d’un geste est empoignée par deux mains solides, ses pieds nus sont soulevés du sable tiède, et elle est déposée en douceur sur le dos laineux. Ses jambes pincent à peine un ventre chaud de toute la bonté du monde.
L’âne était si rare, en ce temps-là, qu’on ne le voyait guère qu’au bord de la mer, à promener les enfants. Du clapotis dans l’écume renouvelée, de la brise de mer gonflant mes cheveux, ma mémoire ne retiendra que deux cônes velus posés sur l’horizon.
Pendant trois ans, en famille, nous avons sillonné les chemins d’Europe de l’Ouest au rythme de nos ânes, côte à côte, corps à corps. Comme d’autres larguent les amarres et hissent la grand-voile pour atteindre la haute mer, nous avons dénoué les longes et mis le cap sur l’inconnu. N’importe quel rivage pouvait servir de limite. Les enfants et les ânes composeraient, sur une portée qui finirait par le roulement des vagues sur la côte portugaise, au bord de l’Atlantique, une musique de bottines sur le schiste qui craque, la craie qui s’écrase, le granite qui roule, avec en contrepoint le battement des sabots sur le bitume ou les foulées sur l’herbe. »
(p. 11-12)
À l’écoute de son compagnon (p. 34-36)
Un sobre gourmand (p. 44-46)
L’âne en fête (p. 63-65)