Interviews


À Paris dans le XIIe arrondissement – Île-de-France (France)
Année 2023
© Olivier Griette

Olivier Griette – Des faux plus vrais que nature
propos recueillis par Émeric Fisset

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Quel attrait éprouvez-vous pour le roman historique et comment avez-vous eu l’idée d’écrire sur les années 1920 en Égypte ?
Ce qui me plaît, dans le roman historique, c’est de pouvoir me servir d’une toile de fond la plus réaliste possible afin de créer des personnages qui prennent vie grâce à cet enracinement dans le réel. Quand le travail est bien fait, tous les détails d’un lieu et d’une époque font naître spontanément ces personnages, presque par magie !
Les années 1920-1930 correspondent à une période tout à fait particulière. Après la découverte du tombeau de Toutânkhamon et, cette même année 1922, la révélation de l’existence du buste de Néfertiti au grand public, on a assisté à une véritable déferlante touristique en Égypte. C’est aussi le début de ce que l’on a appelé l’« égyptomanie », une sorte de folie collective… très vite exploitée par tous les escrocs (petits et grands) qui parviennent à écouler une masse de fausses œuvres d’art invraisemblable : depuis le vulgaire colifichet jusqu’aux prétendus chefs-d’œuvre que s’arrachent les musées occidentaux les plus prestigieux. C’est ce que j’ai appelé « l’âge d’or des faussaires ». Une époque qu’on ne retrouvera sans doute jamais plus.

Quel intérêt éprouvez-vous pour l’égyptologie et l’art, en particulier la sculpture ?
Je crois que tout le monde a un faible pour l’Égypte antique. La moindre exposition, où que ce soit dans le monde, déplace des foules. Pendant des siècles l’écriture hiéroglyphique est demeurée un mystère absolu. On aurait pu penser, après le déchiffrement de Champollion (1822), que le mystère allait enfin se dissiper. C’est exactement l’inverse qui s’est produit. Le public a découvert une civilisation à la fois très proche par ses préoccupations métaphysiques et très éloignée par les réponses qu’elle propose : par exemple la momification, synonyme de passeport pour l’au-delà ! Tout l’art égyptien est imprégné de ce souci d’immortalité, comme si l’ensemble de l’existence n’était qu’une répétition générale avant l’éternité.
La sculpture est le domaine du toucher par excellence. Un sens inné chez l’homme : les jeunes enfants explorent le monde en touchant tout ce qui les entoure… l’un de mes personnages fait de même en découvrant la douceur et la tiédeur d’une sculpture de Sekhmet, la déesse lionne. L’été, chacun peut retrouver cette sensation en caressant une statue qui restitue sa chaleur au soleil couchant. Dans ce domaine, les musées sont assez frustrants (« Défense de toucher »)… mais comment rester insensible au Scribe accroupi du Louvre qui vous fixe depuis cinq mille ans avec ses yeux en cristal de roche ?

En quoi l’activité de faussaire permet-elle de réfléchir à l’authenticité des œuvres ?
Dans les années 1930, on estimait que près d’un tiers des œuvres égyptiennes des grands musées occidentaux étaient des faux. Pour la tranquillité des conservateurs d’aujourd’hui, mieux vaut ne pas trop se demander quelle en est la proportion actuelle…
Avec votre question, nous arrivons au cœur de la problématique de ce livre. Bien sûr, on peut se contenter de se laisser porter par le récit, un récit qui a été conçu pour soutenir l’attention du lecteur tout en lui faisant découvrir le monde de la contrefaçon. Mais sous cet aspect attrayant, se cache aussi une réflexion plus profonde sur l’art : qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ? Peut-il être égalé, voire dépassé par une copie ? À partir de quel moment une copie parfaite cesse-t-elle d’être une copie ? Autant de questions que les Romains (grands amateurs d’art grec) se posaient déjà il y a deux mille ans. Si l’on veut être honnête, ces questions finissent par donner le vertige…
Sans risque de se tromper, on peut supposer que dès la création de la première œuvre d’art sur terre, l’idée de l’imiter est aussitôt apparue. C’est ce qu’exprime mon personnage principal en affirmant : « ce qu’un homme a fait, un autre homme peut le refaire ». Une véritable ascèse qui donne un sens à sa vie.

L’humour, la minutie des dialogues, la chute et l’ancrage historique sont-ils partie intégrante de votre écriture ?
Une chute originale n’est pas indispensable pour terminer un récit. Mais dans le cas de ce roman, la conclusion s’est imposée d’elle-même, comme une évidence. Je n’allais tout de même pas en priver le lecteur !
Je suis heureux que vous ayez remarqué la « minutie » des dialogues, car j’en prends grand soin. Non seulement ces dialogues permettent d’« entendre » mes personnages (le choix des termes doit correspondre à leur tempérament), mais de plus ils font avancer le récit en révélant des informations parfois essentielles. Tout cela noyé dans une impression de conversation naturelle, légère, presque frivole. Ce n’est pas très facile.
En ce qui concerne l’humour, même dans mes écrits plus sérieux, il réapparaît toujours, d’une façon ou d’une autre. Comme beaucoup d’auteurs ont un ego hypertrophié, c’est sans doute une manière instinctive de m’en protéger. En disant cela je m’aperçois que je fais preuve d’humilité… donc que je m’en flatte, ce qui constitue peut-être la forme suprême de vanité…

Quelles lectures ont nourri votre écriture et votre travail romanesque ?
La plupart des grands auteurs, surtout au XIXe siècle, ont écrit sur l’Égypte ancienne. Sans remonter à Hérodote, on peut penser à Chateaubriand, Dumas, Gautier, Nerval, Hugo, Flaubert, Poe ou même Conan Doyle, pour ne citer qu’eux. Même si j’ai rencontré et apprécié ces textes, ils ne sont pas à l’origine de ce livre.
À Paris, tout près de l’Hôtel Drouot où ont lieu les ventes aux enchères, se trouve une bibliothèque spécialisée en marché de l’art. C’est une véritable mine d’or pour se procurer des ouvrages consacrés à la fois aux artistes… et aux faussaires (évidemment, Drouot est le premier concerné par les risques de contrefaçon !). J’y ai « épluché » une quantité impressionnante de livres et de périodiques qui ont servi de point de départ au roman.
Autre source essentielle : la campagne d’Égypte de Bonaparte (1798-1801). J’ai toujours été fasciné par cette expédition saugrenue (pour ne pas dire complètement tordue !). Officiellement, on entendait « couper la route des Indes à l’Angleterre ». Même si l’opération avait réussi, on ne voit pas très bien comment l’objectif initial aurait été atteint… En lisant les différents témoignages de l’époque, on a vraiment l’impression que personne n’y croyait (pas même Bonaparte qui a abandonné tout son petit monde sur place, dès qu’il en a eu l’occasion).
Donc, fiasco militaire total, mais grâce au travail des savants et des artistes embarqués dans cette aventure, naissance d’une science extraordinaire : l’égyptologie. Cet étrange paradoxe n’est-il pas, en soi, un thème éminemment romanesque ?
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