Interviews


Au large de la Tasmanie (Australie)
Année 1990
© Patrick Fradin

Christophe Houdaille – Cap sur les montagnes
propos recueillis par Raphaël Domergue

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Qu’est-ce qui vous a décidé à choisir de traverser les Pyrénées plutôt qu’une autre chaîne de montagnes ?
Les deux semaines passées à Barèges en septembre 2012 m’ont fait ? re Â»découvrir une montagne estivale où chaque lieu me semblait à portée de main. J’aurais bien sûr pu choisir le massif alpin, mais les Pyrénées me semblaient plus intimes, plus accessibles, plus faciles à posséder. Ce massif est délaissé d’un point de vue économique et touristique, aussi me convenait-il mieux. Le fait que la chaîne soit bordée par la mer d’un bout à l’autre permet de mieux visualiser sa traversée avec un départ et une arrivée bien définis. C’est anecdotique, mais je pense que cela a été déterminant dans ma décision. De plus, tout ce que je lisais sur le GR 10 était positif. Enfant, j’ai vécu sept années près de Toulouse et, si nous n’allions pas très souvent dans les Pyrénées, je me souviens, qu’en fonction des conditions météorologiques, il était possible de voir les montagnes. J’en garde une image très précise.

Vous avez longtemps navigué puis tenu une voilerie en Irlande. Vivez-vous votre installation dans les Pyrénées comme une rupture ou comme une continuité ?
Y a-t-il une option intermédiaire ? J’ai cessé une activité professionnelle, j’ai changé de lieu de résidence et de pays. Mon installation en Ariège est donc forcément une rupture. Pourtant, je n’ai pas changé radicalement. L’état d’esprit évolue et ne se modifie pas du jour au lendemain. Au fil des ans, ma folle passion pour la mer et la navigation s’est transmise à la montagne. Je poursuis d’autres types de voyage en tenant les mêmes fils conducteurs : ma soif de découverte et d’immersion dans la nature. Lorsque l’on part plusieurs jours en randonnée itinérante, on emporte son toit, sa nourriture, son confort, avec soi. Il en va de même sur un voilier. On peut ainsi parler d’une certaine continuité, d’une même philosophie qui perdure dans deux environnements différents.

Comment percevez-vous la solitude au milieu des montagnes par rapport à celle que vous avez vécue au milieu des océans ?
La solitude que j’ai vécue en mer était un isolement parfois total vis-à-vis de mes semblables. Durant mes traversées dans les mers australes, il était évident que je ne rencontrerais personne. Deux bateaux qui s’y croisent ne peuvent échanger. Dans les Pyrénées, on voit d’autres randonneurs, même dans les coins les plus improbables ou des conditions météorologiques déplorables. La solitude devient très relative. On s’intéresse à tout ce qui nous entoure : faune, eaux, roches, objets. Depuis les hauteurs, on est, soi-même, souvent observé par des isards, bouquetins, vautours, marmottes. En mer, aussi, il n’est pas rare de voir une baleine venir inspecter le voilier ; sans parler des innombrables oiseaux qui suivent le bateau. Le plus important à retenir est que la ? solitude Â», l’absence d’autres êtres humains alentour, permet une approche plus attentive du milieu naturel.

Quelle expérience tirez-vous de votre installation en Ariège ?
Ma maison de rêve se trouve quelque peu isolée, entourée de terrain, et est située au bout du monde, du moins au bout d’un chemin ! J’en avais trouvé une en Ariège, je ne l’ai pas achetée. Finalement, je construis dans le village d’Aulus-les-Bains. C’est un choix raisonnable et judicieux par rapport à mes activités. Je crois que rien n’est jamais arrêté et qu’il faut rester ouvert aux opportunités. Combien de temps resterai-je dans le village que j’ai choisi, je n’en sais rien. J’espère longtemps. Cependant deux ans avant de quitter l’Irlande, je pensais encore y rester, acheter du terrain, construire un atelier approprié à mon activité de voilier. Cela fait presque peur de se sentir ancré dans une vallée. Mais c’est parce que l’on se met des œillères. Il est parfois difficile de trier entre ses envies profondes, les stéréotypes, les pressions extérieures.

Y a-t-il un livre, en particulier, qui vous a guidé dans vos réflexions ?
Ma plus grande source d’inspiration vient de mes randonnées, des paysages que je découvre, des expériences vécues à l’extérieur. C’est souvent durant les heures passées en montagne que me sont venues les meilleures idées pour la rédaction de Pyrénées, La grande traversée. Si je ne prenais pas de notes sur le moment, elles s’effaçaient rapidement. Si je dois citer un seul livre, ce serait La Longue Route de Bernard Moitessier. C’est le récit d’un tour du monde à la voile sans escale et en solitaire, effectué en 1968, qui ouvre une porte, que dis-je, un portail de réflexion sur la relation de l’homme à l’égard de son environnement. Ce livre est aussi une invitation à mener sa vie en fonction de ses propres désirs, à ne pas se laisser contraindre par les conventions.
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