La maison d’édition et la librairie des voyageurs au long cours

Interview : Marion Touboul
Témoin du monde
Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler dans le journalisme ?
L’envie de voyager, d’« aller voir du pays ». Je rêvais de partir dans le but de comprendre les aspirations, les blessures d’un peuple. Il me fallait un métier qui soit comme un sésame, qui me permette d’aborder aussi bien une Bédouine dans le Sinaï, qu’un Inuit au Groenland. Le journalisme, et tout particulièrement la profession de reporter, est le seul métier que je connaisse à offrir une liberté sans limite dans la rencontre avec l’autre. À la différence du militaire ou de l’humanitaire, le journaliste, s’il part couvrir une guerre, n’est cantonné ni à une caserne ni à un quartier sécurisé. On attend de lui qu’il « sorte de sa chambre », selon l’expression de Marguerite Duras.
Quelle est selon vous la spécificité du métier de grand reporter ?
Le reporter est celui qui part. Il ou elle engage son corps, parfois sa vie, dans la quête de réponses aux questions qui le taraudent. Il n’est bien qu’au contact du monde et des autres avec lesquels il s’efforce toujours d’entretenir une relation la plus horizontale possible. Il écoute, questionne, cherche à connaître l’envers et l’endroit d’une actualité. Quant à la notion de « grand reporter », elle est moins affaire de grand départ pour des contrées lointaines (on peut très bien faire du « grand reportage » en bas de chez soi) que d’engagement du journaliste en faveur d’un travail approfondi, sur un temps long. Joseph Kessel, Albert Londres étaient de grands reporters dans la mesure où ils partaient des mois voire des années pour enquêter sur un même sujet. Aujourd’hui, les rédactions n’ont plus les moyens de financer pareils travaux. Les journalistes indépendants qui s’y emploient le font souvent au prix de concessions financières.
Dans votre métier vous rencontrez des personnes très différentes dans des circonstances variées. Comment parvenez-vous à vous adapter à chaque nouvelle situation ?
Par une posture de vulnérabilité et d’humilité parfaitement choisie et assumée. Un reporter accepte d’attendre des heures dans un tribunal la fin d’une audience parce qu’il sait qu’une vie est en jeu. Il accepte de n’être pas grand-chose sinon un témoin du monde muni d’un outil – caméra, micro, carnet – qui lui permettra de diffuser au plus grand nombre ce qu’il a perçu, compris, ressenti. La curiosité est sa plus grande force. Par son besoin viscéral de se confronter aux autres, il essaie de « s’identifier à leur vie », comme le dit l’écrivain et journaliste Ryszard Kapuscinski. Il n’est donc pas là pour porter un jugement. Son rôle est bien plus intéressant : il témoigne de destins singuliers et mouvants qui, mis bout à bout, disent quelque chose de notre monde.
Votre métier vous amène à beaucoup voyager. Quel pays (ou zone géographique) vous attire le plus, et pourquoi ?
J’ai toujours été attirée par le Moyen-Orient. Enfant, je rêvais de passer Noël dans le désert. J’étais fascinée par la langue arabe, les dunes, les oasis. Je me suis toujours sentie proche de mes grands-parents qui ont quitté l’Algérie pour Paris au moment de la guerre. Je ne suis jamais allée en Algérie mais, dès la fin de mes études, j’ai décidé de découvrir le Proche-Orient en m’installant en Jordanie, à Amman, où j’ai vécu un an. Puis une opportunité professionnelle s’est présentée en Égypte. Je devais séjourner un mois au Caire, j’y suis finalement restée sept ans. J’y ai trouvé un peuple extrêmement accueillant, attachant, empêtré dans la dictature (Hosni Moubarak était alors encore au pouvoir), mais qui n’avait pas perdu son sens de l’humour.
Quel livre conseillez-vous à une personne qui souhaiterait découvrir le métier de journaliste ?
Au cœur du journalisme, il y a la notion de départ, d’engagement, d’intérêt profond pour ce qui nous échappe. C’est un métier-passion voire un métier-aventure, et l’ouvrage qui rassemble brillamment ces caractéristiques est, selon moi, Terre des hommes, un récit autobiographique paru en 1939 d’Antoine de Saint Exupéry, qui fut aviateur, journaliste et écrivain. Sa rencontre avec un Bédouin qui le sauvera de la soif au beau milieu du désert dit la puissance et la magie de ce métier : aucune routine sinon celle de se frotter chaque jour à l’inconnu. Il y écrit aussi que « la grandeur d’un métier est peut-être, avant tout, d’unir des hommes ». Voilà une belle définition de la profession de reporter?
Questions préparées par Anna-Katharina Lauer
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