Un grand tour à vélo
3. Dans les mâchoires de Cerbère
De retour à Lyon, suite à un accident grave ayant entraîné une belle double fracture de la mâchoire pour Matthieu, le dernier post de nos deux randonneurs malheureux.
Nouveau départ en janvier, donc. Depuis Avignon, la route a été généreuse en surprises. Après une belle journée entre Arles et la Camargue, nous avons suivi la route des plages au départ du Grau-du-Roi jusqu’à Agde. Un épisode sympathique mais esthétiquement pauvre : l’architecture de ces régions-là ne fait pas rêver. Exception heureuse à ce tableau morose, la cathédrale de Maguelone, petit bijou de l’époque romane qui se dresse en bordure du canal du Rhône, fut une halte revigorante.
D’Agde, nous avons gagné les contreforts catalans, empruntant une nationale lugubre — où voitures et camions nous dépassent en klaxonnant, quand ils ne nous frôlent pas — et où la prostitution fait rage. L’arrivée en Catalogne commence par Claira, petit village aux alentours de Perpignan, chez Agnès de Volontat-Bachelet, propriétaire du domaine La Coume du Roy.
Prenant acte de la réticence de nos genoux à nous pousser plus loin (Léon, vous aviez raison), les jours suivants ne furent qu’un enchaînement de courtes étapes entre Perpignan, Argelès-sur-Mer et Collioure. À Argelès, nous avons eu la très belle surprise et la félicité gustative et rugbystique de déjeuner avec la famille Lièvremont. En compagnie d’Irène (la maman), de Claire (la petite sœur), du sélectionneur du XV de France (entre autres) et d’un oncle et d’une tante, nous avons devisé gaiement sur tout et sur rien, en famille, tout simplement.
Dimanche soir, nous fêtons à Collioure notre première semaine de voyage. Le lendemain, nous reprenons la route, les sacoches pleines de vivres et de bouteilles de vin pour l’Espagne. Voilà trois jours que nous regardons cette frontière de loin, la draguant sans la toucher. Il s’agirait d’y aller. La fleur aux dents et la joie au cœur, nous égrenons les quelques kilomètres côtiers qui nous séparent de la fameuse ligne. La route est sinueuse, splendide et pour une fois, Ô joie, Ô espoir, Ô tramontane amie, le vent nous pousse avec vigueur.
Avant la frontière, il nous faut d’abord passer Cerbère, chien à trois têtes de la mythologie hellène et petit village côtier à 3 km de la frontière. Le nom nous amuse : serait-ce qu’au-delà de ces hameaux, c’est l’Espagne, et donc l’enfer, qui commence ? Nous n’en saurons rien. Paco, toujours devant et Matthieu, toujours à la photo, se sont quittés depuis cinq minutes quand le premier s’inquiète de ne pas voir arriver le second au lieu dit. C’est que, deux virages après l’entrée du village, Matthieu a chu. Et il ne fait pas bon choir à Cerbère. Route glissante, passage pour piétons, vélo chargé et mur en pierre catalane, le tout à trente à l’heure : un cocktail extra pour expérimenter une double fracture de la mâchoire. La suite est rude : sang, pompiers, urgences, hospitalisation et convalescence contrainte pour un mois, au moins.
Nous écrivons ce post de Lyon, que nous avons regagné hier après une courte semaine à Perpignan, Matth à l’hôpital et Paco à son chevet. Un, deux mois tout au plus, voilà ce qu’il va nous falloir patienter avant de reprendre la route. Nouveau départ sur le lieu de l’accident pour un projet inchangé, avec les mêmes, mais avec trois plaques en plus. Dire que la déception est grande ne servirait à rien : il nous faut reconstruire. Tous les deux avons besoin de nous poser pour cicatriser, calcifier, digérer, accepter et tenter de « sublimer » ce contretemps fâcheux. Une certitude demeure : le programme reste le même, les dates, elles, évoluent. À très bientôt donc, c’est promis.
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