Sur les falaises de Moher – comté de Clare (Irlande)
Année 2016
© Ana Maria Correia Paiva Morão
Née dans le Hainaut belge après-guerre et de nationalité britannique, Anne Caufriez a été marquée par sa traversée du Sahara alors qu’elle était encore étudiante. Sur des pistes secondaires, elle parvient ainsi en juillet 1971 à l’oasis de Djanet, au sud de l’Algérie, point de départ d’une expédition sur les hauts plateaux du Tassili. Une journée de marche à gravir des sentiers vertigineux, criblés d’éboulements de pierres, pour atteindre ces plateaux lunaires, sans eau, où il faut dormir à la belle étoile. Son rêve était d’y voir les peintures et gravures rupestres qui, dès le cinquième millénaire av. J.-C., témoignent d’une vie humaine et animale dans le désert saharien. Là, elle entre en contact avec les bergers itinérants et les nomades dont les caravanes de sel traversent les sables. Leur dénuement et leur survie dans ce milieu hostile exercent sur elle une fascination totale. La vièle à une corde des Touaregs, le luth gunbri des Haoussas, la flûte des Peuls, la harpe-luth des griots? l’éblouissent. Sa vocation d’ethnomusicologue était née. Dès lors, elle s’intéressera aux modes de vie et de pensée des peuples sans succès, des minorités oubliées, et à leur créativité musicale.
Au Népal, Anne Caufriez parcourt des kilomètres à pied pour aller visiter les camps de réfugiés tibétains au pied de l’Himalaya, elle explore la vallée de Katmandou à bicyclette (en 1974) et, en Australie, se rend toute seule au cœur du désert pour rencontrer les Aborigènes dont le sort la révolte (en 1988). En Indonésie, elle enjambe des sentiers boueux pour atteindre les Toradjas, un peuple des Célèbes alors isolé (en 1976). Un hasard du calendrier lui permet de faire tourner son enregistreur lors d’une cérémonie funéraire de plusieurs jours, dédiée à un haut dignitaire, au cours de laquelle elle est aspergée par le sang des buffles qui sont sacrifiés pour la circonstance. Heureusement, la fête célébrée pour la déesse du Riz, à Java, lui fut plus douce : elle danse avec les femmes qui font virevolter leur foulard avec grâce en l’honneur de la déesse.
En 1967, Anne Caufriez part en vacances au Portugal, où elle reste trois ans. Elle entre en résistance contre la dictature de Salazar, ce qui l’amène à se rendre souvent à Paris, à la librairie Maspero. Le but était de s’approvisionner en livres ? interdits » par le régime, afin de les y faire entrer discrètement. Entre-temps, elle a découvert les chants des pêcheurs de l’Algarve et les extraordinaires polyphonies de femmes interprétées dans le vif du travail agricole. En 1982, elle soutient une thèse de doctorat sur la musique traditionnelle portugaise à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris et devient muséographe. Au musée de l’Homme, où elle est,en 1987, membre associée du laboratoire d’ethnomusicologie du CNRS, elle est encouragée à approfondir ses recherches sur la musique portugaise, sur laquelle elle publie plusieurs livres et disques, dont l’un, en 1993, dans la collection ? Ocora » de Radio France. Après des années passées au Portugal, elle se rend six fois au Brésil entre 2001 et 2013, où elle découvre les musiques du Nordeste et entre en contact avec les Indiens de la forêt côtière, dont le sort la touche profondément. Elle part alors en Amazonie où elle prend une embarcation périlleuse pour rejoindre un village caché dans la forêt inondée. Le parcours est jonché de plantes mouvantes, de nénuphars géants, de crocodiles et d’anacondas. Mais l’accueil des Indiens fut inoubliable?
Anne Caufriez a visité plus d’une cinquantaine de pays qui l’ont incitée à prendre des notes de voyage. Elle doit son goût pour la littérature à un grand-père avocat, grand admirateur de Molière. Il connaissait les discours de Bossuet par cœur et interprétait avec brio la ? tirade du nez » de Cyrano de Bergerac. Dans ses rêves de voyage, elle découvre, très tôt, des auteurs comme Blaise Cendrars (? La Prose du Transsibérien »), Jacques Lacarrière (L’Été grec), Daniel Rondeau (Alexandrie) ou Lawrence Durrell (Citrons acides). Ils auront raison d’elle car, depuis 2000, date à laquelle elle obtient son habilitation à diriger des recherches à Paris IV-Sorbonne, elle se consacre à la littérature, celle des pays ou des îles dont l’atmosphère l’a séduite. S’immergeant dans les communautés humaines qu’elle visite, dans leur histoire et dans leur art, elle propose un regard de voyage original et pénétrant, qui va à l’encontre des reportages éclair ou des idées reçues.