Né en Mongolie dans la vallée de la Sükh (province du Gov’-Altai) en 1917, Chadraabalyn Lodoidamba découvre le monde à la manière des autres enfants de l’époque en gardant les moutons, ramassant l’argal – la bouse séchée – pour le feu et veillant sur ses jeunes frères et sœurs. Son père, Tsogtyn Chadraabal, modeste éleveur animé par la soif d’apprendre, sait lire et écrire le mongol et s’intéresse à l’histoire, relatée dans les ouvrages importés d’Inde, du Tibet et de Chine. Se distinguant lors des tournois du Naadam tant à la lutte qu’au tir à l’arc, il est apprécié et estimé de son entourage. Toutefois, un différend avec le seigneur local le contraint de quitter sa région natale avec les siens pour Khüree, la future Oulan-Bator. Ayant contracté la variole dans la vallée de la Tamir en Arkhangai, il garde une reconnaissance profonde pour ses habitants qui l’ont soigné et sauvé. C’est en pensant au lien très fort qui attachait son père à cette vallée que son fils y situera bien plus tard le roman Tungalag Tamir qu’il lui a dédié (La Tamir aux eaux limpides, traduit en français par Typhaine Cann).
À Khüree, Chadraabalyn Lodoidamba est introduit à l’âge de 4 ans auprès d’un lama du monastère de Gandantegchinlen et reçoit des rudiments d’éducation avant d’intégrer pour un an l’école élémentaire de la province de Töv puis l’établissement modèle nouvellement ouvert à Oulan-Bator, où il achève ses études secondaires en 1935. De 1935 à 1938 il étudie à la faculté d’enseignement professionnel Rabfak d’Oulan-Oudé, en Bouriatie. L’année de son diplôme, il découvre Moscou et Léningrad à l’occasion d’un voyage de classe. Président du conseil des étudiants, il s’investit dans la vie sociale et profite de ses loisirs pour skier et faire de la luge. En 1939, il obtient son brevet de machiniste et commence à travailler comme gardien du dépôt de la toute récente ligne ferroviaire Oulan-Bator/Nalaikh avant de gravir les échelons jusqu’à celui de machiniste titulaire. Quand il est appelé sous les drapeaux, le directeur de la voie de chemin de fer parvient à lui obtenir une dérogation – la main-d’œuvre qualifiée fait défaut, et l’organe central des communications cherche un ouvrier compétent pour enseigner la physique aux futurs techniciens du télégraphe et de la radio, fonction qu’il assume entre 1939 et 1941 avant de devenir lui-même directeur adjoint du centre de la radio jusqu’en 1943. Après une formation de six mois organisée par le Parti, il devient lecteur pour l’Agence centrale de la propagande et intègre le comité de rédaction du quotidien La Vie du Parti, puis est promu rédacteur de Gloire, la revue du Syndicat des artistes de Mongolie.
En 1945, Chadraabalyn Lodoidamba épouse l’actrice Chimidiin Dolgorsüren avec laquelle il aura trois filles et un fils. Dans ses mémoires publiés en 1986, sa femme a livré un témoignage personnel sur l’attention bienveillante et chaleureuse qu’il portait à ses proches et en particulier à ses enfants. Sportif, il était ouvert d’esprit et curieux de ce qui se passait dans le monde : il a suivi des cours du soir à l’Université nationale et, une fois son diplôme d’histoire en poche, a préparé une thèse de langue et littérature à l’Académie des sciences sociales de Moscou, soutenue en 1959, avec pour sujet ? Concepts et personnages dans la dramaturgie mongole contemporaine », puis il a travaillé à Oulan-Bator au sein du ministère de la Culture où il est resté jusqu’à la fin de sa vie.
Parmi ses nombreuses contributions au développement et à la modernisation du secteur culturel, Chadraabalyn Lodoidamba a œuvré pour le théâtre et l’industrie cinématographique dans le souci d’élever la Mongolie au niveau des autres nations. Scènes, décors et infrastructures artistiques, studios de cinéma, jeu des acteurs, mises en scène, salles de spectacle et de concert, il conseille, supervise, coordonne. Comprenant qu’on ne peut défendre et préserver le patrimoine culturel que depuis l’intérieur du système, il compose avec la rigidité de la censure pour valoriser cette richesse tout en la faisant évoluer afin de la transmettre aux générations futures. Son engagement pour encadrer les tournois du Naadam ainsi que garantir le respect des règles, le bien-être des chevaux de course, la reconnaissance et l’estime des compétiteurs s’accompagne ainsi d’un important travail de terrain visant à promouvoir cet héritage à travers la réalisation de documentaires.
Observateur sensible et précis du monde qui l’entoure, Chadraabalyn Lodoidamba a su le restituer avec art. Il laisse une œuvre prolifique et diversifiée, alliant recueils poétiques, romans, nouvelles, pièces de théâtre et films, mais aussi de nombreuses publications scientifiques et enfin ses archives personnelles, lettres et témoignages sur la société de son temps. Après avoir publié en 1962-1967 Tungalag Tamir, dédié à son père, il décède subitement en 1970, en pleine rédaction d’un nouveau roman, dédié à sa mère. Sa mort reste entourée d’un halo de mystère.