Près de la place Sükhbaatar – Oulan-Bator (Mongolie).
Année 2021
© Typhaine Cann
Née à Brest en 1986, Typhaine Cann passe les deux premières années de sa vie dans sa ville natale avec sa mère. Son père, contraint en effet de s’installer à Paris, rentre cependant le week-end en Bretagne pour prendre part aux matchs de foot de l’équipe de Plourin-lès-Morlaix. La maison qui s’y trouve va bercer les souvenirs de l’enfant, choyée par sa famille et encouragée par ses grands-parents enseignants à s’intéresser tant aux livres qu’au monde qui l’entoure. Elle et sa mère rejoignent son père dans la capitale où naîtra sa sœur en 1988, puis une autre à Brest où toute la famille est de retour dès 1991.
Bretonne à Paris, Typhaine Cann devient, aux yeux de ses camarades, parisienne dans sa région natale, avec le sentiment d’être étrangère partout malgré son attachement indéfectible à la Bretagne et à la mer. Curieuse et obstinée, elle sait lire avant d’entrer à l’école et dévore tout ce qui lui tombe sous la main. Élève sérieuse mais réservée, rêveuse, elle poursuit une scolarité tranquille, toutefois bousculée par de nombreux déménagements qui l’obligent à changer d’école. Aussi sa famille constitue-t-elle son principal point de repère, malgré le fait que ses parents se soient séparés lorsqu’elle avait 8 ans. À 12 ans, elle découvre la peinture ; naît alors une histoire d’amour avec la lumière et les ombres qui lui donnent l’impression de réinventer le monde avec les doigts.
Ayant entendu parler d’une étudiante effectuant dans le cadre de l’IEP de Rennes un stage d’un an au Chili, Typhaine Cann se met en tête d’intégrer cette école, avec l’envie de devenir grand reporter, au grand dam de son père qui pensait qu’avec la filière scientifique choisie elle deviendrait ingénieur. Ce sera donc, sitôt bachelière, une hypokhâgne choisie par nécessité mais qui se révélera l’année la plus mémorable de son cursus universitaire, avant d’entrer à l’IEP de Lille qui, par contraste, la déçoit, n’étaient un départ rendu possible pour l’étranger et Mattias, le camarade suédois en Erasmus devenu son ami. Passionnée par la lutte indépendantiste de l’IRA, elle voulait l’Irlande, ce sera la Mongolie dont elle n’a qu’une idée nébuleuse hormis le nom étrange d’? Oulan-Bator » sur les cartes. Elle s’en construit une première image à partir des photos sur papier glacé des magazines de voyage tout en potassant le Parlons mongol de Jacques Legrand. Frustrée de n’avoir jamais pu parler le breton de ses aïeuls, elle trouve là une langue d’adoption.
À défaut des vastes étendues quasi désertes illustrant les pages de GEO, c’est Oulan-Bator que Typhaine Cann découvre depuis l’ambassade où elle est en stage. Avec l’ambassadeur, passionné par les langues et l’histoire, elle s’extrait après quatre mois de la capitale à l’occasion d’une mission dans l’Arkhangai où la France soutient des projets vétérinaires. Elle lie connaissance avec l’homme derrière le diplomate, qui saura lui donner le courage de tracer sa propre voie et instiller en elle le désir d’apprendre pour traduire, ou de traduire pour apprendre, c’est selon. Elle fait aussi la rencontre d’Al, un professeur de philosophie de quarante-huit ans son aîné, Américain d’origine sicilienne avec qui elle entretient une relation épistolaire. De retour en France, la mongolisante abandonne l’IEP mais s’inscrit à l’université de Brest pour un master de français langue étrangère, qui lui ouvre les portes d’un second stage à l’ambassade. Ce nouveau séjour lui permet de suivre des cours de mongol à l’Université nationale pendant un an, au terme duquel elle laisse tomber le diplôme de FLE pour garder celui d’ethnologie, entrepris en même temps. Elle obtient ainsi son master puis son doctorat en 2014, avec, auprès de la faculté Victor-Segalen de Brest (UBO), une thèse sur ? L’invention du paysage culturel sous-marin : le traitement en patrimoine des épaves de la mer d’Iroise et ses ambiguïtés », qu’elle aurait voulu dédier à son père plongeur passionné, parti trop tôt. Les années passent, et la thésarde se lance un défi : renouer avec le mongol, qu’elle avait délaissé, pour traduire Tungalag Tamir, acheté par hasard à un bouquiniste. Bonne pioche avec cet ultime roman de Chadraabalyn Lodoidamba ! Commence alors un travail acharné qui lui prendra huit ans, chaque relecture découvrant un nouvel aspect de l’œuvre et faisant naître des questionnements. Les dictionnaires ne suffisant pas, il faut passer par l’histoire et par des séjours sur place, où elle retourne donc presque tous les ans. Que ce soit à Züüngov’, dans l’Uvs, pour séjourner plusieurs mois auprès de Sergelen, sa ? maman mongole », qui lui confie les clés de son magasin quand elle part s’approvisionner au marché de Narantuul, dans la capitale, ou à celui d’Ereen, en Chine. Là, elle vend des pièces détachées de moto, apprend à coudre des caftans, des toiles de yourte, et prend en photo les enfants qu’elle peint ultérieurement pour rapporter un peu de leur sourire dans son deux pièces brestois.
Typhaine Cann achève en 2022 sa traduction de La Tamir aux eaux limpides et redoute un peu cette séparation d’avec l’auteur qui l’a accompagnée pendant huit ans, au travers duquel elle a eu l’impression de renaître dans une nouvelle langue. Pour échapper au vide, elle entame la traduction d’Üüriin Tuya de Byambyn Rinchen et d’Erdene Zasgiin unaga de Zunduin Dorzh tout en se lançant dans une thèse de littérature, avec pour objectif de la rédiger en mongol.