Un vrai porteur de souffle

Philippe Fenwick, auteur et poète contemporain, a choisi de porter à pied avec sa troupe le théâtre jusque dans les villages perdus de France.


Ils ne se réfèrent jamais à un courant de pensée, à une mode, ni même à une tradition. Ils apparaissent çà et là, spontanément, de manière imprévisible, trublions des normes administratives et des idées prémâchées. Ils se placent à contre-courant des voies modernes et des mots d’ordre, indifférents aux exhortations qui ne viennent pas de leur cœur. D’aucuns les croient étranges et étrangers. Or, ils sont souvent proches et ont l’esprit clair. Seulement, c’est du quotidien qu’ils attendent l’enchantement dont ils ont soif, car on ne biaise pas avec ses rêves. On les appelle les Porteurs de souffle.
« Je voyage en hiver pour mieux faire comprendre aux gens que si je me donne la peine de marcher jusqu’à eux par mauvais temps, c’est que j’ai quelque chose d’important à leur dire. » Philippe Fenwick ne se contente pas de marcher seul à travers la campagne, il sait communiquer son enthousiasme pour entraîner avec lui ses troupes. Ou plutôt, sa troupe. Treize comédiens et musiciens arpentaient les chemins de grande randonnée tandis que l’équipe d’assistance remballait le décor de la veille pour l’installer dans le gymnase ou la salle des fêtes du prochain village où le spectacle serait donné. Et ainsi chaque jour, de Dunkerque aux Saintes-Maries-de-la-Mer. 1 500 kilomètres à pied, 70 étapes, 9 régions, 14 départements, 55 représentations.
« Le plus éprouvant, c’était de remonter sur scène après une rude journée de marche. Notre spectacle est très physique, il y a des combats et de nombreux changements de costume, mais on n’avait pas le droit de se dire “la route a été pénible, on en a assez et on va se coucher”, non, il fallait chaque soir faire renaître La Légende des Porteurs de souffle, même si la salle était presque vide, et tout donner comme si c’était la première représentation. »
L’intelligence amusée qui fait briller le regard de Philippe est empreinte d’un doux énigmatisme. Le jeune auteur de La Légende des Porteurs de souffle et directeur, avec William Mesguich, de la Compagnie du théâtre de l’Étreinte, se défend de véhiculer des idées. Comme tous les vrais poètes, il vit sa passion, il la chante, la met en mouvement, s’en sert comme d’un levier pour soulever la chape de passivité et de résignation qui engourdit la volonté des hommes, mais il ne cherche pas à convaincre. Il est, et cet état suffit à faire vibrer ce qu’il touche. « Même si mon but n’est pas de délivrer un message, il est de produire autre chose qu’un simple divertissement. C’était une tournée classique, mais à pied, pour redécouvrir les pays, briser la fatalité de l’isolement culturel, réaffirmer l’importance du théâtre et réapprendre à regarder les étoiles. »
Le spectacle a été donné devant neuf mille spectateurs, entre le 10 septembre et le 20 novembre. Le public de Lestrem, Olliergues, Beauzée-sur-Aire, Saint-Broing, Auxonne, Marcigny, Escoutoux, la Chaise-Dieu, Villefort, Euzet et de bien d’autres communes rurales a connu une soirée de pur émerveillement. Le succès et l’émotion furent considérables. « Nous préparons un nouveau spectacle pour un tour de France de plus de 2 500 kilomètres à pied. Musiciens et comédiens, tous veulent repartir. L’aventure démarrera à Romainville en mars 2002. »
Seulement, la première route ouverte par le passage du théâtre de l’Étreinte risque de se refermer, faute d’artistes pour la suivre et entretenir l’enchantement. Une année de mise en place et de contacts avec les élus locaux qu’il fallait convaincre, risque de se solder sous le ciel de nos campagnes, par le passage d’une seule étoile filante. Philippe pense retourner dans chaque village pour y déposer une page de son manuscrit. Il suffirait alors que, dans un siècle, un voyageur curieux se penche sur cette épopée baladine, et refasse le chemin de jadis pour retrouver une à une les pages qui lui conteront l’histoire des Porteurs de souffle. L’épilogue est poétique, mais triste en vérité, car il fait déjà d’un voyage et d’un spectacle vivants un sujet d’archéologie. Appel à celles et ceux qui voudraient à leur tour porter leur souffle le long du chemin tracé, et entretenir la Légende.
Théâtre de l’Étreinte
Place Carnot
93110 Rosny-sous-Bois
tél. 01 45 28 90 11
fax 01 45 28 96 78
e-mail cieletreinte@yahoo.fr
site www.theatre-etreinte.com


Portrait rédigé par : Emmanuel Hussenet
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