Ă€ pied Ă  travers la Mongolie (I)

Marc Alaux et Laurent Barroo ont traversé en 2001 la Mongolie d’est en ouest.


5. Les nomades ont bien changé


Le papier sur lequel j’avais reporté à la va-vite un texte de Li Po (701-762 ap. J.-C.) craque et se déchire lorsque je le déplie. Mes doigts tremblent de fatigue mais ces mots n’ont rien perdu de leur force et transforment le poète de l’ère Tang en chamane complice de mon évasion. Je replonge dans le passé nomade. Ainsi parlait Li Po dans son chant du cavalier hun de Yeou-Tcheou :
« L’étranger de Yeou-Tcheou monte un cheval hun
Ses yeux verts luisent sous son bonnet en peau de tigre
Il se rit des flèches ennemies, car sur dix mille hommes
Aucun ne peut se mesurer à lui. »
Dans Les Cavaliers, Joseph Kessel continuait d’alimenter nos rêves en décrivant « les caravanes kirghizes, les marchés tartares, les danses guerrières, les jardins et les palais des princes, les oasis les plus douces, les plus riches au cœur de l’Asie ». Voilà de quelles références notre imaginaire se nourrit, voilà la belle et longue histoire des nomades, celle qu’aiment entendre les passionnés de la Mongolie, celle qui nous fait oublier les efforts de notre marche quotidienne. Il en est pourtant une autre qui relativise la joie de vivre des éleveurs et l’hospitalité dont ils nous font bénéficier.
A-t-il jamais existé un Chinois, paysan ou soldat, empereur ou artiste, homme ou femme, qui n’ait pas redouté les guerriers nomades ? S’entretenir de ces diables, c’était comme entendre revenir leur galop. Du fond des steppes septentrionales, leurs regards perçaient tous les boucliers et leur venue était toujours vécue comme la fin des temps, du sien propre en tout cas. Malgré le mur élevé entre eux et les sédentaires par des siècles de méfiance et d’appréhension réciproque, les nomades n’ont jamais vécu en vase clos et ont souvent su se tailler un nom et une place jusque dans l’histoire des plus grands empires. On connaît les contacts établis très tôt avec la Chine, mais qu’en fut-il plus à l’ouest ? Au dire d’Hérodote, les Scythes étaient connus des Grecs du Ve siècle avant J.-C pour s’être opposés avec vigueur aux Perses et, au IIe siècle avant J.-C., pour piller les cités côtières de la mer Noire. Les Romains, à leur tour, eurent à se protéger des « cavaliers du vent ». Ainsi les qualités d’archers des Parthes arsacides sont rapportées par un grand nombre d’auteurs tels Lucain, Ovide, Horace et Virgile. Des unités de l’armée romaine prirent même le nom de certaines régions habitées par ces peuples, que ce soit la Ire Légion parthique, la IVe Légion scythique ou bien les cataphractaires sarmates employés dans la cavalerie.
Durant l’Antiquité tardive, les cavaliers nomades reviennent sur le devant de la scène. L’Empire romain d’Occident, en pleine décomposition interne, se fragmente sous les coups des peuples nomades talonnés par les Huns, originaires du plateau de Mongolie. Dans l’imaginaire d’alors – il suffit de lire l’historien latin Ammien Marcellin pour s’en convaincre –, les nomades étaient des suppôts du diable, avides de pillages et de carnages. Hier, toutefois, une main chaleureuse me tendait un bol de thé bouillant et du mouton bouilli ; la veille, un lama m’offrait de l’argent et bénissait notre voyage. Décidément, nous sommes fort loin de l’histoire des nomades qu’aiment entendre les passionnés de la Mongolie, celle qui nous fait oublier les efforts de notre marche quotidienne et met en perspective la joie de vivre et l’hospitalité des éleveurs.


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