La mousson



Jadis, les marchands arabes utilisaient les alizés qui couraient en été sur l’océan Indien pour gagner le littoral des Indes, où ils chargeaient leurs voiliers de produits précieux. S’inversant en hiver, ces vents les ramenaient sur les côtes africaines, à Zanzibar par exemple. À ce système de balancement des souffles, ils donnèrent le nom de mawsim, ou « saison », d’où vient le terme de mousson. Les habitants du sous-continent indien y voient « l’inspiration et l’expiration de la Terre ». À la mi-juin chaque année, ils guettent ce grand déversement des eaux qui apaisera la fournaise de l’air.
La mousson naît des différences de pressions et de températures entre le sud du continent asiatique et l’océan Indien, qui conserve toute l’année une température moyenne de 25 °C. L’hiver, le continent se refroidit, des anticyclones se forment en Sibérie et sur le plateau tibétain, qui donnent naissance à des vents de nord-est, attirés par la tiédeur et les dépressions de l’océan Indien. En été, la tendance s’inverse. Les masses d’air chaud et humide en suspens au-dessus de l’océan s’ébranlent vers le continent plus froid et vers les dépressions de la convergence intertropicale (ceinture de basses pressions, située autour du globe au point de rencontre des alizés). Le sous-continent indien se couvre alors de nuées dans lesquelles les hindous reconnaissent le nuage-éléphant d’Indra, dieu de la Foudre et géniteur des moussons. Les masses humides poursuivent leur ruée vers le nord, poussées par les suroîts, et abordent les massifs himalayens, où, pressés contre les reliefs, les nuages s’élèvent et se refroidissent au contact de courants frais. Alors les pluies éclatent, quotidiennes, diluviennes et dévastatrices.
Les masses nuageuses ne parviennent pas à franchir les 8 000 mètres de la chaîne himalayenne. Quand la mousson arrive sur le plateau tibétain, elle n’est plus qu’un pauvre vent usé, asséché et chaud : un souffle de fœhn. Il en est de même à l’ouest de la chaîne. Le front estival de la mousson ne franchit pas la barrière du Pir Panjal. Ce sont d’autres phénomènes, orageux, locaux ou influencés par de rares vents d’ouest qui provoquent les pluies du Karakorum, du Cachemire, du Hunza et du Pamir. Entre Darjeeling où il tombe 3 200 mm de pluie par an et Leh où il en tombe 50, l’Himalaya offre ce contraste unique de versants luxuriants couverts de forêts de rhododendrons avoisinant des glaciers et des plateaux pelés, que l’âpreté des vents et l’aridité protègent des incursions d’air océanique.

Par Alexandre Poussin & Sylvain Tesson
Texte extrait du livre : Himalaya, Visions de marcheurs des cimes
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