L’élevage du yack



Le yack est aux hautes chaînes du « Pays des neiges » ce que le chameau est au désert : une bête parfaitement adaptée à un milieu hostile et grâce à laquelle des hommes peuvent survivre là où l’agriculture traditionnelle ne suffirait pas à assurer leur subsistance.
Le yack (Bos mutus) est un bovin d’altitude qui vit entre 3 800 et 6 000 mètres. Une masse de 700 à 900 kg pour les mâles et 1,80 mètre au garrot expliquent l’impression de force gigantesque que dégage le yack, renforcée par une épaisse toison de laine et des cornes effilées. On en distingue plusieurs espèces, dont le yack à tête carrée, le yack à long nez et le yack nain. Ceux-là forment les souches pures. De nombreux croisements existent cependant, réalisés par les éleveurs népalais ou tibétains qui veulent réunir les qualités du yack et des bovins domestiques. Ainsi les taureaux sont accouplés à des yacks femelles (nak). Les hybrides mâles (dzo) obtenus allient la robustesse du yack à la docilité bovine. Les zhum, hybrides femelles, donnent davantage de lait que les nak.
En Himalaya, l’élevage du yack est un signe de richesse ; posséder un troupeau, une marque de prestige. La bête est parfois même divinisée. Les yacks élus, protégés et sacrés, se reconnaissent à leur collier de laine surmonté d’un pompon rouge. Ceux-là ne travailleront jamais ni ne seront tués. La vénération dont jouit l’animal est liée aux services qu’il rend à l’homme. Le cultivateur peut compter sur le yack, et surtout sur le dzo, comme animal de labour. Les bouses fournissent du combustible pour l’année entière, trésor précieux dans des régions où ne pousse aucun ligneux. Les femmes tirent du lait de yack un éventail de produits qui forment la base alimentaire des peuples himalayens d’altitude : lait caillé, petit lait, yaourt… Le beurre, qui constitue une monnaie d’échange chez les Sherpa, sert aussi à façonner des objets rituels. La viande, écarlate à cause de sa forte teneur en globules rouges, est consommée quand un yack meurt d’accident ou de vieillesse. Certains villages bouddhistes emploient à l’automne les services de bouchers de la caste Hyawo pour tuer les bêtes âgées qui, sinon, ponctionneraient les réserves hivernales de foin. La laine est tissée et permet de confectionner les tentes, les vêtements, les tentures de portail des monastères et de solides cordages. Du cuir, on fait des bottes, des sacs et, parfois dans la région des lacs, des canoës avec des peaux tendues sur des arceaux de bois. Le yack sert aussi de bête de somme, particulièrement résistante, aux voyageurs et aux marchands. Les Sherpa, qui n’ont pas l’usage des poneys, moutons, mules ou ânes contrairement aux autres Bothe (Tibétains), l’utilisent fréquemment. Le commerce institué entre le Tibet et les États himalayens méridionaux doit beaucoup aux yacks, capables de porter trois fois plus qu’un cheval, de résister à la haute altitude, de digérer les mousses et les lichens ou de marcher dans la neige pendant cinq jours sans s’alimenter. La bête possède un certain nombre d’armes pour lutter contre le froid. Sa fourrure épaisse qui se renouvelle à l’automne la protège jusqu’à – 40 °C, ses sabots ne gèlent pas et des glandes sudoripares réduites la préservent des excès de transpiration, fatals par grand froid.
Sans yacks, point de vie au-dessus d’une certaine altitude. Et ils savent qu’ils leur doivent l’existence, ces hommes montagnards pour qui, selon l’expression tibétaine, le « paradis est pavé de yacks ».

Par Sylvain Tesson
Texte extrait du livre : Himalaya, Visions de marcheurs des cimes
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