Depuis la côte basque ~ la randonnée itinérante :
« La conception du GR10 a été le fruit de nombreuses années de travail. C’est dans les années 1960 à 1970 que l’idée prend forme, région après région. Dans les Hautes-Pyrénées tout d’abord, sous la houlette de Jean Adisson. Ensuite la section d’Hendaye à Saint-Jean-Pied-de-Port est tracée grâce au Touring Club de France. C’est surtout à partir des années 1970 que les choses se mettent réellement en place. Les sentiers sont balisés, des topoguides sont édités. Il faudra six années, de 1971 à 1977, pour que la section qui traverse l’Ariège soit finalisée et le topoguide publié. Il faut imaginer l’ampleur de la tâche. La montagne est connue, parcourue par les éleveurs ainsi que par les randonneurs. Les sentiers vont dans tous les sens, dans toutes les vallées, et s’élèvent aussi vers les crêtes pour franchir les cols qui relient les contrées entre elles. Comment faire un choix, sur quels critères ? Les possibilités étaient multiples, et le sont toujours. La preuve : plusieurs variantes permettent d’allonger ou de raccourcir le parcours officiel. Il s’agit parfois de passer par des villages ou des hameaux afin de trouver un gîte ou un commerce, d’éviter des sections aériennes, ou simplement de proposer une alternative. Quel bonheur, quelle satisfaction pour les créateurs de pouvoir partager leur passion, leur connaissance du terrain. Au fil des années, le tracé évolue aussi, pour éviter des pistes qui sont goudronnées, pour contourner des passages devenus peu praticables par suite d’éboulements, pour s’écarter des zones devenues dangereuses. Au milieu des années 1990, l’ensemble du tracé a été revu, et nul doute qu’il en sera de même dans le futur.
Lorsque aujourd’hui j’ouvre l’un des topoguides qui m’ont accompagné dans ce périple, mon cœur palpite de joie et d’émotion. Chaque petite carte, copie conforme du terrain, est par elle-même une merveille de précision et de poésie. Courbes de niveau, chemins, routes, villages, sommets, lacs et rivières, un peu d’imagination permet de se sentir en pleine nature. Trait rouge omniprésent, le GR10 déroule ses méandres d’un bout à l’autre.
Il y a aussi les textes : “De la place de Sare, suivre la rue principale au sud sur 50 m et, dans le virage, continuer en face sur la voie médiévale. Ce beau chemin dallé ponctué d’oratoires, franchit un ruisseau et monte vers la route de crête. Prendre la route à gauche et, dans le virage, s’engager sur la voie goudronnée devenant chemin de terre” (réf. 1086, p. 39). Pour celui qui n’est jamais passé par Sare, ces quelques lignes sont une passerelle entre deux époques, elles incitent à la visite pour jouir de la beauté du site. On y perçoit le chant du ruisseau troublant à peine le recueillement des oratoires. À Sare, je traverse rapidement la place bondée, sans trouver la fontaine espérée. Mes souliers usent un peu plus les roches de la voie médiévale arrondies par des siècles de piétinement et mes yeux s’émerveillent devant les églises miniatures, curieusement délaissées par les touristes qui ont envahi les cafés. Les parterres de gazon m’attirent, et finalement c’est bien après que je me suis engagé sur le “chemin de terre” qu’une fontaine aménagée étanche ma soif lors d’une halte méritée : la canopée des grands arbres a ma préférence sur les parasols des buvettes.
Parcourir ces topoguides, c’est aussi feuilleter un livre d’histoire. On y apprend par exemple que Saint-Jean-Pied-de-Port se développe au XIIIe siècle comme ville étape sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle. Parfois article complet à lire le soir sous la tente, parfois simple note dans le texte principal, ces allusions sont des incitations à s’ouvrir sur les bourgades traversées, leur architecture, leur histoire, l’utilisation qui a été faite des ressources locales. Il pourrait être judicieux de se lancer sur le GR10 sans aucune limite de temps, et de s’intéresser à chaque élément du chemin. On pourrait y consacrer des années, mais qu’importe le temps puisqu’il s’agit de recueillir les traces du passé.
Certains regrettent d’être trop précisément guidés. Non par fierté personnelle ou amour-propre, ni par regret de quelques difficultés. L’intérêt d’emprunter le GR10 n’est pas la glorification de son ego. C’est qu’à force d’être guidé presque pas à pas on oublie de lire le paysage. Le randonneur qui n’a que sa carte pour s’orienter, parfois même une carte peu détaillée, doit trouver son chemin au sein d’une topographie inconnue. Il se trouve arrêté par une barre rocheuse, par un torrent puissant ; il est freiné par la végétation d’un vallon. Alors seule l’observation permet de trouver l’éboulis qui contourne la falaise, le gué pour franchir le cours d’eau, les sentes animalières qui percent les broussailles. Les espoirs et les déceptions font partie de la recherche du chemin. De ce fil ininterrompu qui parcourt la montagne, il se forme une image différente du terrain, une lecture tournée vers la géologie, la végétation, la topographie. On apprend vite qu’un éboulis de granite recouvert de rhododendrons est très pénible à traverser à cause des espaces cachés entre les rochers, que ces mêmes rhododendrons permettent de s’accrocher sur des pentes raides, qu’un pierrier de graviers instables est idéal à la descente mais qu’il faut choisir des roches bien calées pour monter efficacement. En suivant le GR10, on n’a qu’une simple initiation à cette lecture du terrain, c’est un appel à revenir dans des conditions différentes. Ou une incitation à divaguer de part et d’autre des sentes de montagne, peut-être pour aller chercher quelque sommet, un point de vue, un lieu de repos ou de bivouac qui devient alors possession personnelle.
Les premiers soirs, on s’inquiète de ne pas repérer d’endroit où planter la tente. On a tellement l’habitude de rentrer chez soi, de retrouver un lieu de repos immuable, solide, rassurant ! Comment accepter l’incertitude de dénicher ou non un bon emplacement de campement. Heureusement, on comprend rapidement qu’il est toujours possible d’installer le camp quelque part, à condition tout de même d’avoir étudié les courbes de niveau. Il faut peut-être marcher un peu plus longtemps que prévu lorsque le lieu de bivouac envisagé se révèle impraticable, cependant on trouvera forcément. Il arrive qu’il semble de prime abord impossible de découvrir l’emplacement idoine pour la tente. Fatigué par la journée, parfois déshydraté malgré les litres d’eau absorbés, il est difficile de penser sereinement : on souhaite se reposer sans plus de complications. Le lieu choisi n’est pas toujours parfait : la pente est trop raide, le sol pas assez uniforme, l’exposition au vent réelle, l’eau trop lointaine? C’est ce qui m’arrive le deuxième soir. J’ai rempli ma gourde à Aïnhoa, village au charme indéniable, et j’aurais dû planter la tente sur les pelouses qui bordent la chapelle de l’Aubépine située à mi-pente. Le lieu était accueillant, offrant de jolis parterres ombragés ; j’ai tout de même continué, dans l’espoir d’un coin de rêve pour la soirée de mon anniversaire. En fin d’après-midi, un peu découragé à l’idée de devoir prolonger la journée de marche vers un campement incertain, lassé de chercher en vain les 3 mètres carrés nécessaires, je pose mon sac non loin d’un abri à chevaux, tout en sachant que le site n’est pas idéal. Après avoir bu de longues gorgées, laissé mon esprit se détendre, il devient évident que la tente sera plantée là et non ailleurs, que la pente est faible derrière ce buisson, que quelques coups de pied et des fougères auront raison des irrégularités du sol, qu’aucune brise n’est attendue et qu’une marche sans charge pour aller chercher l’eau à la source voisine sera plus une promenade qu’une corvée.
Ayant parcouru le GR10 avec plaisir et engouement, je suis tenté de dire que ce parcours est aisé. Ce serait oublier d’une part l’engagement nécessaire à une telle aventure, d’autre part certaines difficultés rencontrées. Le GR ne nécessite aucune technique d’escale, la traversée des cours d’eau se fait sur des ponts et passerelles, et l’on n’est jamais bien loin d’un refuge, d’un village ou d’un hameau. Pourtant, il est nécessaire d’être assez souvent attentif. Faire ne serait-ce qu’un kilomètre avec une entorse n’est pas une partie de plaisir. Or on rencontre des portions d’itinéraire qui requièrent de grandes précautions : dalles glissantes, sente étroite sur le flanc escarpé d’une montagne, sentier creusé à flanc de falaise. Selon l’enneigement de l’hiver précédent, et la période choisie, des névés peuvent inquiéter, voire poser de sérieux problèmes lorsqu’ils sont encore gelés le matin. Sans parler de l’effort physique demandé lors de certaines journées. Une bonne condition physique est nécessaire. Il faut aussi savoir s’orienter et être capable de s’organiser : prévoir le temps nécessaire pour rejoindre tel village, tel gîte ou telle cabane, tel lieu de bivouac, savoir anticiper sa consommation de nourriture, gérer la fatigue. La bonne nouvelle est que, pour un randonneur initié aux sorties à la journée, tout cela s’apprend sur le tas. »
À travers le Biros ~ résurgence du passé (p. 117-121)
Crète de la Bède ~ la beauté du voyage (p. 162-166)
Extrait court
« La conception du GR10 a été le fruit de nombreuses années de travail. C’est dans les années 1960 à 1970 que l’idée prend forme, région après région. Dans les Hautes-Pyrénées tout d’abord, sous la houlette de Jean Adisson. Ensuite la section d’Hendaye à Saint-Jean-Pied-de-Port est tracée grâce au Touring Club de France. C’est surtout à partir des années 1970 que les choses se mettent réellement en place. Les sentiers sont balisés, des topoguides sont édités. Il faudra six années, de 1971 à 1977, pour que la section qui traverse l’Ariège soit finalisée et le topoguide publié. Il faut imaginer l’ampleur de la tâche. La montagne est connue, parcourue par les éleveurs ainsi que par les randonneurs. Les sentiers vont dans tous les sens, dans toutes les vallées, et s’élèvent aussi vers les crêtes pour franchir les cols qui relient les contrées entre elles. Comment faire un choix, sur quels critères ? Les possibilités étaient multiples, et le sont toujours. La preuve : plusieurs variantes permettent d’allonger ou de raccourcir le parcours officiel. Il s’agit parfois de passer par des villages ou des hameaux afin de trouver un gîte ou un commerce, d’éviter des sections aériennes, ou simplement de proposer une alternative. Quel bonheur, quelle satisfaction pour les créateurs de pouvoir partager leur passion, leur connaissance du terrain. Au fil des années, le tracé évolue aussi, pour éviter des pistes qui sont goudronnées, pour contourner des passages devenus peu praticables par suite d’éboulements, pour s’écarter des zones devenues dangereuses. Au milieu des années 1990, l’ensemble du tracé a été revu, et nul doute qu’il en sera de même dans le futur.
Lorsque aujourd’hui j’ouvre l’un des topoguides qui m’ont accompagné dans ce périple, mon cœur palpite de joie et d’émotion. Chaque petite carte, copie conforme du terrain, est par elle-même une merveille de précision et de poésie. Courbes de niveau, chemins, routes, villages, sommets, lacs et rivières, un peu d’imagination permet de se sentir en pleine nature. Trait rouge omniprésent, le GR10 déroule ses méandres d’un bout à l’autre.
Il y a aussi les textes : “De la place de Sare, suivre la rue principale au sud sur 50 m et, dans le virage, continuer en face sur la voie médiévale. Ce beau chemin dallé ponctué d’oratoires, franchit un ruisseau et monte vers la route de crête. Prendre la route à gauche et, dans le virage, s’engager sur la voie goudronnée devenant chemin de terre” (réf. 1086, p. 39). Pour celui qui n’est jamais passé par Sare, ces quelques lignes sont une passerelle entre deux époques, elles incitent à la visite pour jouir de la beauté du site. On y perçoit le chant du ruisseau troublant à peine le recueillement des oratoires. À Sare, je traverse rapidement la place bondée, sans trouver la fontaine espérée. Mes souliers usent un peu plus les roches de la voie médiévale arrondies par des siècles de piétinement et mes yeux s’émerveillent devant les églises miniatures, curieusement délaissées par les touristes qui ont envahi les cafés. Les parterres de gazon m’attirent, et finalement c’est bien après que je me suis engagé sur le “chemin de terre” qu’une fontaine aménagée étanche ma soif lors d’une halte méritée : la canopée des grands arbres a ma préférence sur les parasols des buvettes.
Parcourir ces topoguides, c’est aussi feuilleter un livre d’histoire. On y apprend par exemple que Saint-Jean-Pied-de-Port se développe au XIIIe siècle comme ville étape sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle. Parfois article complet à lire le soir sous la tente, parfois simple note dans le texte principal, ces allusions sont des incitations à s’ouvrir sur les bourgades traversées, leur architecture, leur histoire, l’utilisation qui a été faite des ressources locales. Il pourrait être judicieux de se lancer sur le GR10 sans aucune limite de temps, et de s’intéresser à chaque élément du chemin. On pourrait y consacrer des années, mais qu’importe le temps puisqu’il s’agit de recueillir les traces du passé.
Certains regrettent d’être trop précisément guidés. Non par fierté personnelle ou amour-propre, ni par regret de quelques difficultés. L’intérêt d’emprunter le GR10 n’est pas la glorification de son ego. C’est qu’à force d’être guidé presque pas à pas on oublie de lire le paysage. Le randonneur qui n’a que sa carte pour s’orienter, parfois même une carte peu détaillée, doit trouver son chemin au sein d’une topographie inconnue. Il se trouve arrêté par une barre rocheuse, par un torrent puissant ; il est freiné par la végétation d’un vallon. Alors seule l’observation permet de trouver l’éboulis qui contourne la falaise, le gué pour franchir le cours d’eau, les sentes animalières qui percent les broussailles. Les espoirs et les déceptions font partie de la recherche du chemin. De ce fil ininterrompu qui parcourt la montagne, il se forme une image différente du terrain, une lecture tournée vers la géologie, la végétation, la topographie. On apprend vite qu’un éboulis de granite recouvert de rhododendrons est très pénible à traverser à cause des espaces cachés entre les rochers, que ces mêmes rhododendrons permettent de s’accrocher sur des pentes raides, qu’un pierrier de graviers instables est idéal à la descente mais qu’il faut choisir des roches bien calées pour monter efficacement. En suivant le GR10, on n’a qu’une simple initiation à cette lecture du terrain, c’est un appel à revenir dans des conditions différentes. Ou une incitation à divaguer de part et d’autre des sentes de montagne, peut-être pour aller chercher quelque sommet, un point de vue, un lieu de repos ou de bivouac qui devient alors possession personnelle.
Les premiers soirs, on s’inquiète de ne pas repérer d’endroit où planter la tente. On a tellement l’habitude de rentrer chez soi, de retrouver un lieu de repos immuable, solide, rassurant ! Comment accepter l’incertitude de dénicher ou non un bon emplacement de campement. Heureusement, on comprend rapidement qu’il est toujours possible d’installer le camp quelque part, à condition tout de même d’avoir étudié les courbes de niveau. Il faut peut-être marcher un peu plus longtemps que prévu lorsque le lieu de bivouac envisagé se révèle impraticable, cependant on trouvera forcément. Il arrive qu’il semble de prime abord impossible de découvrir l’emplacement idoine pour la tente. Fatigué par la journée, parfois déshydraté malgré les litres d’eau absorbés, il est difficile de penser sereinement : on souhaite se reposer sans plus de complications. Le lieu choisi n’est pas toujours parfait : la pente est trop raide, le sol pas assez uniforme, l’exposition au vent réelle, l’eau trop lointaine? C’est ce qui m’arrive le deuxième soir. J’ai rempli ma gourde à Aïnhoa, village au charme indéniable, et j’aurais dû planter la tente sur les pelouses qui bordent la chapelle de l’Aubépine située à mi-pente. Le lieu était accueillant, offrant de jolis parterres ombragés ; j’ai tout de même continué, dans l’espoir d’un coin de rêve pour la soirée de mon anniversaire. En fin d’après-midi, un peu découragé à l’idée de devoir prolonger la journée de marche vers un campement incertain, lassé de chercher en vain les 3 mètres carrés nécessaires, je pose mon sac non loin d’un abri à chevaux, tout en sachant que le site n’est pas idéal. Après avoir bu de longues gorgées, laissé mon esprit se détendre, il devient évident que la tente sera plantée là et non ailleurs, que la pente est faible derrière ce buisson, que quelques coups de pied et des fougères auront raison des irrégularités du sol, qu’aucune brise n’est attendue et qu’une marche sans charge pour aller chercher l’eau à la source voisine sera plus une promenade qu’une corvée.
Ayant parcouru le GR10 avec plaisir et engouement, je suis tenté de dire que ce parcours est aisé. Ce serait oublier d’une part l’engagement nécessaire à une telle aventure, d’autre part certaines difficultés rencontrées. Le GR ne nécessite aucune technique d’escale, la traversée des cours d’eau se fait sur des ponts et passerelles, et l’on n’est jamais bien loin d’un refuge, d’un village ou d’un hameau. Pourtant, il est nécessaire d’être assez souvent attentif. Faire ne serait-ce qu’un kilomètre avec une entorse n’est pas une partie de plaisir. Or on rencontre des portions d’itinéraire qui requièrent de grandes précautions : dalles glissantes, sente étroite sur le flanc escarpé d’une montagne, sentier creusé à flanc de falaise. Selon l’enneigement de l’hiver précédent, et la période choisie, des névés peuvent inquiéter, voire poser de sérieux problèmes lorsqu’ils sont encore gelés le matin. Sans parler de l’effort physique demandé lors de certaines journées. Une bonne condition physique est nécessaire. Il faut aussi savoir s’orienter et être capable de s’organiser : prévoir le temps nécessaire pour rejoindre tel village, tel gîte ou telle cabane, tel lieu de bivouac, savoir anticiper sa consommation de nourriture, gérer la fatigue. La bonne nouvelle est que, pour un randonneur initié aux sorties à la journée, tout cela s’apprend sur le tas. »
(p. 28-34)
À travers le Biros ~ résurgence du passé (p. 117-121)
Crète de la Bède ~ la beauté du voyage (p. 162-166)
Extrait court