Un vaste patrimoine :
« J’avoue Ă©prouver beaucoup de sympathie pour les chansons sur Marseille crĂ©Ă©es dans la première moitiĂ© du XXe siècle. Elles correspondent à une Ă©poque oĂą les salles de spectacle – cabarets et music-halls – connurent un âge d’or en France et en particulier dans la citĂ© phocĂ©enne. Si j’y suis attachĂ©, c’est parce qu’elles me permettent d’imaginer l’atmosphère de cette ville quand elle fut le refuge de mes aĂŻeux. Les titres de ces succès ne trompent pas le public sur le contenu des couplets : Dans ma petite calanque, Un pastis bien frais, La Bouillabaisse, Sur le Vieux-Port, Zou ! un peu d’aĂŻoli, La Chanson du cabanon, Sur les bancs du Prado? Ces refrains, cĂ©lèbres en leur temps et chantĂ©s jusqu’à Paris, parlent de la Canebière, du Pont-Transbordeur, de Notre-Dame-de-la-Garde, de la Bonne-Mère, de la pĂ©tanque, des cigales, du soleil, du ciel bleu, des galĂ©jades? Tous les ingrĂ©dients d’un roman de Marcel Pagnol ! La touche de rĂ©alisme tient, pour l’Ă©criture, à quelques savoureuses expressions provençales, des descriptions de la ville et des paysages alentour, à la mise en scène des coutumes locales – pĂ©tanque, belote, pastis – et à l’exploitation d’une vision psychologique raffinĂ©e du Marseillais – fainĂ©ant, de mauvaise foi et rigolard? La crĂ©dibilitĂ© de l’interprĂ©tation par les Alibert, Fernandel, Darcelys, Andrex ou Sardou tenait à l’utilisation systĂ©matique d’un accent qui fleurait bon le mistral, la garrigue et le quartier du Vieux-Port. C’est peu dire que dans la lĂ©gendaire salle de l’Alcazar des clichĂ©s en pagaille furent chantĂ©s à un public qui en redemandait toujours plus. Ces œuvres modestes donnaient une vision caricaturale de Marseille, mais, comme toute chanson devenue cĂ©lèbre, elles exprimaient pourtant quelque chose de vrai, de vĂ©cu.
Depuis, l’Alcazar est devenu une bibliothèque. Les histoires de Marius et Olive n’amusent plus vraiment personne. La Canebière n’a plus l’Ă©clat lĂ©gendaire de son passĂ©. Certes, le soleil cogne toujours autant, le mistral dĂ©corne toujours les cocus et les Marseillais ont toujours une vision du monde que je qualifierais de dĂ©calĂ©e. Mais ils ne sont pas ceux d’hier et se distinguent de ceux de demain. Marseille, ville portuaire ouverte sur le Sud, symbole du nomadisme, du passage, du changement perpĂ©tuel ! Chaque Marseillais cĂ´toie des fils et filles d’immigrĂ©s : des Italiens, des Grecs, des ArmĂ©niens, des AlgĂ©riens, des Tunisiens, des Espagnols, des Comoriens? Marseille change, ses chansons aussi. Un peuple ne cesse d’Ă©voluer : la chanson s’adapte et se rĂ©invente. D’ailleurs d’oĂą sont issus les grands noms de la chanson français de la seconde moitiĂ© du XXe siècle ? Charles Aznavour est d’origine armĂ©nienne. Les mères de Georges Brassens, de LĂ©o FerrĂ© et de Claude Nougaro sont d’origine italienne. Serge Reggiani et Yves Montand sont nĂ©s en Italie. Serge Gainsbourg est issu d’une famille d’Ă©migrĂ©s russes. Jacques Brel est belge. Georges Moustaki vient d’Égypte, et ses parents sont grecs? La liste est longue de tous les immigrĂ©s ou enfants de l’immigration qui exprimèrent, au plus juste, les sentiments et les pensĂ©es du peuple français.
Je crois à la singularitĂ© de chaque culture, mais seulement en tant que rĂ©sultat sans cesse renouvelĂ© d’un brassage, d’un mĂ©lange. La chanson exprime le tempĂ©rament des peuples dans leur permanence et leurs mutations. C’est en ce sens-là que je me sens auteur de chansons françaises, et que j’essaie d’approfondir ma connaissance du rĂ©pertoire, afin de profiter des leçons de tous ceux qui m’ont prĂ©cĂ©dĂ©. Les emprunts musicaux à la culture amĂ©ricaine du Sud et du Nord, aux autres pays europĂ©ens, aux mĂ©lodies moyen-orientales sont multiples ; les musiques des chansons françaises ne se limitent pas à la bourrĂ©e et à la valse ! Le jazz, la bossa-nova, le rock, le reggae, le rap, le blues, le funk, le raĂŻ, le flamenco? appartiennent dĂ©sormais à notre patrimoine. »
Ça danse à la Mouffe (p. 34-38)
Au Lapin agile (p. 64-67)
Extrait court
« J’avoue Ă©prouver beaucoup de sympathie pour les chansons sur Marseille crĂ©Ă©es dans la première moitiĂ© du XXe siècle. Elles correspondent à une Ă©poque oĂą les salles de spectacle – cabarets et music-halls – connurent un âge d’or en France et en particulier dans la citĂ© phocĂ©enne. Si j’y suis attachĂ©, c’est parce qu’elles me permettent d’imaginer l’atmosphère de cette ville quand elle fut le refuge de mes aĂŻeux. Les titres de ces succès ne trompent pas le public sur le contenu des couplets : Dans ma petite calanque, Un pastis bien frais, La Bouillabaisse, Sur le Vieux-Port, Zou ! un peu d’aĂŻoli, La Chanson du cabanon, Sur les bancs du Prado? Ces refrains, cĂ©lèbres en leur temps et chantĂ©s jusqu’à Paris, parlent de la Canebière, du Pont-Transbordeur, de Notre-Dame-de-la-Garde, de la Bonne-Mère, de la pĂ©tanque, des cigales, du soleil, du ciel bleu, des galĂ©jades? Tous les ingrĂ©dients d’un roman de Marcel Pagnol ! La touche de rĂ©alisme tient, pour l’Ă©criture, à quelques savoureuses expressions provençales, des descriptions de la ville et des paysages alentour, à la mise en scène des coutumes locales – pĂ©tanque, belote, pastis – et à l’exploitation d’une vision psychologique raffinĂ©e du Marseillais – fainĂ©ant, de mauvaise foi et rigolard? La crĂ©dibilitĂ© de l’interprĂ©tation par les Alibert, Fernandel, Darcelys, Andrex ou Sardou tenait à l’utilisation systĂ©matique d’un accent qui fleurait bon le mistral, la garrigue et le quartier du Vieux-Port. C’est peu dire que dans la lĂ©gendaire salle de l’Alcazar des clichĂ©s en pagaille furent chantĂ©s à un public qui en redemandait toujours plus. Ces œuvres modestes donnaient une vision caricaturale de Marseille, mais, comme toute chanson devenue cĂ©lèbre, elles exprimaient pourtant quelque chose de vrai, de vĂ©cu.
Depuis, l’Alcazar est devenu une bibliothèque. Les histoires de Marius et Olive n’amusent plus vraiment personne. La Canebière n’a plus l’Ă©clat lĂ©gendaire de son passĂ©. Certes, le soleil cogne toujours autant, le mistral dĂ©corne toujours les cocus et les Marseillais ont toujours une vision du monde que je qualifierais de dĂ©calĂ©e. Mais ils ne sont pas ceux d’hier et se distinguent de ceux de demain. Marseille, ville portuaire ouverte sur le Sud, symbole du nomadisme, du passage, du changement perpĂ©tuel ! Chaque Marseillais cĂ´toie des fils et filles d’immigrĂ©s : des Italiens, des Grecs, des ArmĂ©niens, des AlgĂ©riens, des Tunisiens, des Espagnols, des Comoriens? Marseille change, ses chansons aussi. Un peuple ne cesse d’Ă©voluer : la chanson s’adapte et se rĂ©invente. D’ailleurs d’oĂą sont issus les grands noms de la chanson français de la seconde moitiĂ© du XXe siècle ? Charles Aznavour est d’origine armĂ©nienne. Les mères de Georges Brassens, de LĂ©o FerrĂ© et de Claude Nougaro sont d’origine italienne. Serge Reggiani et Yves Montand sont nĂ©s en Italie. Serge Gainsbourg est issu d’une famille d’Ă©migrĂ©s russes. Jacques Brel est belge. Georges Moustaki vient d’Égypte, et ses parents sont grecs? La liste est longue de tous les immigrĂ©s ou enfants de l’immigration qui exprimèrent, au plus juste, les sentiments et les pensĂ©es du peuple français.
Je crois à la singularitĂ© de chaque culture, mais seulement en tant que rĂ©sultat sans cesse renouvelĂ© d’un brassage, d’un mĂ©lange. La chanson exprime le tempĂ©rament des peuples dans leur permanence et leurs mutations. C’est en ce sens-là que je me sens auteur de chansons françaises, et que j’essaie d’approfondir ma connaissance du rĂ©pertoire, afin de profiter des leçons de tous ceux qui m’ont prĂ©cĂ©dĂ©. Les emprunts musicaux à la culture amĂ©ricaine du Sud et du Nord, aux autres pays europĂ©ens, aux mĂ©lodies moyen-orientales sont multiples ; les musiques des chansons françaises ne se limitent pas à la bourrĂ©e et à la valse ! Le jazz, la bossa-nova, le rock, le reggae, le rap, le blues, le funk, le raĂŻ, le flamenco? appartiennent dĂ©sormais à notre patrimoine. »
(p. 78-81)
Ça danse à la Mouffe (p. 34-38)
Au Lapin agile (p. 64-67)
Extrait court