La Liberté du centaure, Petit traité sur le voyage à cheval
Laurence Bougault
Voyager à cheval revient à établir une complicité spirituelle et physique avec un grand corps de plusieurs quintaux, masse de muscles et de nerfs bouillonnante et mystérieuse. C’est aussi connaître une inscription à nulle autre pareille de son propre corps dans le paysage : la terre elle-même qui se fait mouvance, par le truchement de l’animal. Après les jeux équestres, les galops en forêt qui font scintiller la lumière dans les feuilles, après l’air empli de la senteur des crinières, choisir la marche lente, la longue proximité avec le creux de la selle et le dos de l’animal, opter ainsi pour le pas et l’horizon plutôt que pour la carrière du manège. Adjoindre, à l’art de faire cœur avec le dos pensant du cheval, la joie de percevoir le monde alentour à la mesure de cette danse haut perchée. Être pourtant plus terre à terre qu’aucun, en raison de la responsabilité paternelle qui lie le cavalier à ses bêtes – monture et cheval de bât. Être chaque matin et chaque soir ce paysan inquiet de la qualité du fourrage, de la quantité de grain. Prendre de l’orge pour de l’or et couper l’herbe à la faucille. Refaire les gestes ancestraux du soigneur : panser, harnacher, soigner et veiller sur. C’est un rêve dont la matérialité sublime et grandit. C’est sans doute dans cette déambulation quotidienne pleine d’odeurs fortes, de sueurs et parfois de sang et de violence que le voyageur à cheval devient inévitablement chevalier errant et rejoint la confrérie des gauchos patagons, des éclaireurs sioux, des aigliers kazakhs et des pillards maures.