Emmanuel Hussenet a voyagé avec un petit cheval dans la France rurale.
L’appel du sentier
Emmanuel Hussenet a voyagé en compagnie d’un petit cheval à travers la France, pour y rencontrer les chevaliers des sentiers perdus et les nouveaux troubadours.
Bien sûr, j’ai vu des terres froides dont on ne peut traduire ni l’étendue ni la beauté. J’ai navigué trente fois en marge de la banquise polaire, déjouant l’étau des glaces ou accostant sur quelque plage lugubre. J’ai fait du haut Arctique mon rocher secret, heureux de m’y retrouver comme à mon domicile, mais me questionnant souvent, confronté aux assauts du climat, sur le sens de mes étés passés si loin des sociétés humaines, dans une solitude sans fin dont je ne comprenais plus le prix.
De retour, je sentais mes jours passer inutilement, épargné par les malheurs du monde mais incapable d’en partager les bonheurs. Quel parti faut-il prendre pour s’accomplir vraiment ?
J’ai cru m’établir en Norvège, au Groenland, au Canada. Je pensais trouver là -bas équilibre et tranquillité. Ce qui est proche nous renvoie à nous-mêmes, et je redoutais la France pour ce qu’elle renfermait de vérités que je ne voulais pas connaître. J’ai décidé de rester. Supporter un pays qui malgré tout est le mien et dont j’ai si souvent méprisé l’étroitesse. Retomber sur terre et redécouvrir, pas à pas, chacun de ses trésors, relire à voix haute ce qu’on croyait savoir par cœur, et toucher des mots le vrai centre du monde, qui se rencontre partout où l’homme a trouvé sa place.
Mon choix fut celui que l’on fait lorsque, en marge de la clientèle des plages ensoleillées, on se tourne vers un coin de campagne pour s’inquiéter de l’harmonie d’un parterre ou du sort d’une mésange à l’aile brisée. C’est celui qui m’a conduit à vendre une maison en ville pour acquérir une fermette sur un demi-hectare de pré : le choix du réveil de soi et de l’amour des choses. Qu’est-ce au juste que la campagne ? Un territoire à la population mourante et désemparée face au pouvoir désormais incontournable de l’économie et de la technologie ? Un éden réinvesti par les citadins qui n’ont de cesse de réapprendre à conjuguer le verbe vivre ? Le monde rural est une mosaïque qui me fascine. Une terre à explorer plus vaste, plus riche, plus extravagante que toutes les contrées polaires que j’ai pu arpenter. Comment rendre compte de son infinie diversité et de tous les changements qui s’y opèrent ? Il suffit, peut-être, d’aller au-devant de cet univers le plus simplement possible. C’est à pied – ou à cheval – que l’on peut s’affranchir de la contrainte moderne du temps, et relever l’âme d’un paysage, d’un lieu, d’un bourg, chacun façonné à la ressemblance de l’homme et non encore à celle de la machine. C’est au fur et à mesure des rencontres que la vie se colore et que le voyage, cette voie de l’inconnu par laquelle on modèle sa propre image, se charge de sens. Je pars ce printemps en compagnie de mon ami cheval. Je veux témoigner d’une France porteuse d’espoir, car il arrive un temps où il faut prendre la route et les risques qui s’y attachent, pour aller trouver ce qui nous manque le plus au monde. Ou, mieux encore, pour l’apporter soi-même.
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