Les pommes de terre :
« Des cucurbitacées orange et noires parsèment un champ. Le regain sèche de l’autre côté de la route. Ça sent bon. Le sol est sablonneux et jaune. Il a plu quelques gouttes. Un mirador et du barbelé protègent une sapinière ; le sapin de Noël vaut autant que le gibier.
L’ancienne douane de Foussemagne est désormais un bar. Bien plus qu’un changement de destination. Le bâtiment administratif ressemblerait à un vieux pavillon du secteur si quatre enseignes ne trahissaient son activité. La Française des jeux et Kronenbourg écrasent la licence IV.
La baraque est aussi fatiguée que ses usagers. Deux clients sont attablés. Un lit L’Est républicain, sa béquille posée contre la vitre. Elle a tenu une bonne partie de l’après-midi. Voûté et moustachu, les yeux vides, un autre boit un pastis en se demandant s’il arrivera à finir son verre. Le bistrot familier leur semble étranger. Aucun d’eux ne prête attention à la patronne qui a le même âge que l’estaminet et qui s’affaire derrière le bar en formica. Elle disparaît parfois derrière le présentoir de jeux à gratter.
Les tables sont recouvertes de nappes vichy. Des pieds de tomate en pot sont posés sur l’une d’elles. La seconde salle est presque aussi vide que la première sauf qu’elle est habitée par un baby-foot, un aquarium et un poêle à mazout. L’ombre des chaises alsaciennes raie le linoléum jusqu’aux plinthes. Les poissons sont plus lestes que l’homme au journal et au pastis.
Des passants rentrent à un rythme régulier pour cocher des cases de Loto devant une colonne rétroéclairée. Les jeux de hasard se consomment au crépuscule quand les certitudes s’éclipsent pour laisser place à l’espérance de l’aube. Le Loto se nourrit de tous les dimanches soir du monde.
Les bistrots des franges sont habités par des silhouettes désorientées qui s’accommodent d’un bar pour tenir debout. Des clients sont hypnotisés par le téléviseur quadrillé de la loterie Amigo. D’autres cherchent à donner le change : air détaché, regard circulaire, main accrochée au verre. Eux seuls ignorent que leur persuasion est vaine. Même les repaires finissent par ne plus rassurer au bout de l’errance. Les regards sont profondément désespérés et vides. Ceux qui brillent toujours ne sont pas d’ici.
Les joueurs de Loto repartent comme ils étaient arrivés, en fantômes. La canne tient toujours contre la fenêtre. Au-dessus du soubassement en lambris, de vieilles cartes postales tentent de rehausser le papier peint. Comme souvent, ces photos sépia renvoient à l’histoire de la maison. On y distingue la tuilerie de Foussemagne avec sa fine cheminée fumante et plusieurs vues du secteur douanier. C’est une route en terre battue bordée d’herbe et de deux rangées de tilleuls.
Les estaminets des bordures sont plus sourds, plus engourdis, plus sombres aussi que les bistrots des épicentres. Les corps usés ne vibrionnent pas. Ils ne sont pas faits non plus pour prendre la lumière. Des mouches collées au ruban adhésif, seules les ailes battent encore. De toute évidence, les confins tolèrent mieux les éclipses de l’âme que l’éblouissement des ego. »
La gare et le terrain de camping (p. 59-62)
Les passeurs, les cupules et les éoliennes (p. 129-131)
Extrait court
« Des cucurbitacées orange et noires parsèment un champ. Le regain sèche de l’autre côté de la route. Ça sent bon. Le sol est sablonneux et jaune. Il a plu quelques gouttes. Un mirador et du barbelé protègent une sapinière ; le sapin de Noël vaut autant que le gibier.
L’ancienne douane de Foussemagne est désormais un bar. Bien plus qu’un changement de destination. Le bâtiment administratif ressemblerait à un vieux pavillon du secteur si quatre enseignes ne trahissaient son activité. La Française des jeux et Kronenbourg écrasent la licence IV.
La baraque est aussi fatiguée que ses usagers. Deux clients sont attablés. Un lit L’Est républicain, sa béquille posée contre la vitre. Elle a tenu une bonne partie de l’après-midi. Voûté et moustachu, les yeux vides, un autre boit un pastis en se demandant s’il arrivera à finir son verre. Le bistrot familier leur semble étranger. Aucun d’eux ne prête attention à la patronne qui a le même âge que l’estaminet et qui s’affaire derrière le bar en formica. Elle disparaît parfois derrière le présentoir de jeux à gratter.
Les tables sont recouvertes de nappes vichy. Des pieds de tomate en pot sont posés sur l’une d’elles. La seconde salle est presque aussi vide que la première sauf qu’elle est habitée par un baby-foot, un aquarium et un poêle à mazout. L’ombre des chaises alsaciennes raie le linoléum jusqu’aux plinthes. Les poissons sont plus lestes que l’homme au journal et au pastis.
Des passants rentrent à un rythme régulier pour cocher des cases de Loto devant une colonne rétroéclairée. Les jeux de hasard se consomment au crépuscule quand les certitudes s’éclipsent pour laisser place à l’espérance de l’aube. Le Loto se nourrit de tous les dimanches soir du monde.
Les bistrots des franges sont habités par des silhouettes désorientées qui s’accommodent d’un bar pour tenir debout. Des clients sont hypnotisés par le téléviseur quadrillé de la loterie Amigo. D’autres cherchent à donner le change : air détaché, regard circulaire, main accrochée au verre. Eux seuls ignorent que leur persuasion est vaine. Même les repaires finissent par ne plus rassurer au bout de l’errance. Les regards sont profondément désespérés et vides. Ceux qui brillent toujours ne sont pas d’ici.
Les joueurs de Loto repartent comme ils étaient arrivés, en fantômes. La canne tient toujours contre la fenêtre. Au-dessus du soubassement en lambris, de vieilles cartes postales tentent de rehausser le papier peint. Comme souvent, ces photos sépia renvoient à l’histoire de la maison. On y distingue la tuilerie de Foussemagne avec sa fine cheminée fumante et plusieurs vues du secteur douanier. C’est une route en terre battue bordée d’herbe et de deux rangées de tilleuls.
Les estaminets des bordures sont plus sourds, plus engourdis, plus sombres aussi que les bistrots des épicentres. Les corps usés ne vibrionnent pas. Ils ne sont pas faits non plus pour prendre la lumière. Des mouches collées au ruban adhésif, seules les ailes battent encore. De toute évidence, les confins tolèrent mieux les éclipses de l’âme que l’éblouissement des ego. »
(p. 220-222)
La gare et le terrain de camping (p. 59-62)
Les passeurs, les cupules et les éoliennes (p. 129-131)
Extrait court