Peggy Laurenson, Dernières nouvelles d’Alsace, le 26 août 2020 :
? “Les bonnes fins n’existent que dans l’imagination des gens”, rigole Jean-Marie Haegy quand on évoque celle de son Voleur de mémoire, dont on ne dira – évidemment – rien ici. Ce livre est son sixième et, quand son auteur en parle, le naturel revient vite au galop. “Sa sortie est comme un accouchement. C’est enfin l’heure de la délivrance après une longue gestation.” Jean-Marie Haegy a dédié sa vie à la médecine. Rien d’étonnant à ce que tout ramène systématiquement l’ancien responsable du service de réanimation médicale des Hôpitaux civils de Colmar, mais aussi membre cofondateur de Médecins du Monde, à cet univers aseptisé et aux blouses blanches.
Le Voleur de mémoire ne fait pas figure d’exception. L’histoire naît au “croisement entre la 86 et la nationale, direction Villeneuve-Saint-Georges”. Un accident vient de se produire, sur lequel est dépêché le médecin Frank Lemoine. Dans la carcasse de la R5, alors qu’il tente de sauver Marcel Bodin, l’incroyable se produit : l’âme de l’accidenté va trouver refuge dans le cerveau de l’urgentiste du Samu. Au fil des pages, qui se lisent avec cette même urgence avec laquelle interviennent Samu et Smur au quotidien, Jean-Marie Haegy va construire une intrigue policière captivante. Plongeant le lecteur dans l’univers de ces hommes de terrain, le fantastique le disputant au thriller dans une écriture aussi incisive qu’un scalpel.
“Ce livre, je l’avais commencé il y a pas mal de temps. Je l’avais mis dans un tiroir et puis, dans la vie, je m’arrange toujours pour boucler les boucles”, raconte l’homme. Les premières lignes ont été couchées à la main, dans un grand cahier parsemé de post-it grouillant de diverses idées, dès 2009. “Je dois être le seul médecin à avoir une calligraphie lisible, plaisante Jean-Marie Haegy. J’écris et, seulement après, je retape sur mon ordinateur. Ça me permet de mettre au propre et d’épurer les choses.” La version brute de son roman a été achevée il y a deux ans, puis reprise pour une sortie aux éditions Transboréal, le 20 août. Aujourd’hui, Jean-Marie Haegy est heureux de le voir prendre son envol. Se dirigeant vers sa bibliothèque, il en sort un cahier bien noirci, nouvel ouvrage en devenir.
Pour l’heure, celui qui a passé sa vie en différents points du monde à l’occasion de nombreuses missions humanitaires accueille avec le calme qui sied à ceux qui sauvent des vies, les premiers retours positifs – sur ce Voleur de mémoire aux multiples lectures. “C’est un roman policier, fantastique avec une réflexion sur la médecine et les urgences. J’ai voulu que les gens s’interrogent sur leur propre existence, explique l’écrivain. Comme médecin, j’ai signé plus de certificats de décès que je n’ai ramené de gens à la vie. Sur une urgence, on est pro. Mais, par moments, quelque chose se passe. L’an dernier, j’ai passé une semaine par mois en réa. J’ai vu passer des gens, on se demande quelle a été leur vie. On se doit de ne pas entrer dans une sphère compassionnelle ; l’urgence passée, on peut rentrer dans un système de communication. Ce sont certaines discussions avec des patients sortant de réanimation, notamment sur la décorporation, qui m’ont influencé.”
Un Frank Lemoine imaginaire, mais bien en prise avec la réalité. Celle des urgences en 2020. Jean-Marie Haegy y évoque les gardes qui s’enchaînent, le manque de personnel, un service bien souvent saturé par des patients qui n’ont rien à y faire. Un constat qui fait tristement écho à ce que de nombreux hôpitaux dénoncent depuis de longues années, et mis en exergue avec la pandémie de Covid-19. “Il n’y a pas que l’hôpital qui doit changer, la population aussi, qui doit apprendre à mettre des mots sur les maux. Trouver un équilibre entre les besoins médicaux de la population et les demandes de patients qui deviennent de plus en plus impatients.” »