Tempête sur l’Aconcagua
Aymeric de Lamotte
À l’aube de ses 30 ans, Aymeric de Lamotte se lance le défi de gravir l’Aconcagua, le toit des Amériques. Au fil de l’expédition, il affronte avec deux de ses amis les épreuves de l’altitude : le vent, le froid, la neige et, surtout, la perspective du redoutable mal des montagnes. Il n’a de cesse de repousser les limites de son corps et de son esprit, et désire coûte que coûte atteindre l’objectif, à 6 962 mètres d’altitude. Ce récit, mêlant aventure, histoire et réflexion, rappelle que, face à la nature sauvage et indomptable, l’homme livre un combat qui n’est jamais gagné d’avance.
Avec une préface par : Tashi Lakpa Sherpa
« En décembre 2019, je suis parti faire l’ascension de l’Aconcagua avec mes vieux camarades, Karma et Halung. Dans la petite station de ski de Los Penitentes, le soir de la première journée d’acclimatation, nous fîmes la connaissance de trois jeunes amis que vous découvrirez dans ce livre : Tanguy, Harold et Aymeric. Dès nos premiers échanges, j’ai été sensible à leur enthousiasme. J’ai aussi été touché par la vive curiosité qu’ils manifestaient pour cet univers mystérieux qu’est la montagne. Ils étaient pleins d’appréhension, car il s’agissait de leur première expérience à une telle altitude, mais ils étaient également très drôles. Nous avons vite sympathisé. Nous nous retrouvions à chaque étape de l’ascension. Nous partagions des dîners frugaux en nous racontant nos itinéraires de vie si différents. C’est le genre de rencontre inédite que permet l’atmosphère particulière de la montagne et que nous n’oublions jamais. Lorsque Aymeric m’a demandé de préfacer son ouvrage, c’est donc tout naturellement que j’ai accepté.
Septième d’une fratrie de huit enfants, je suis né et j’ai grandi dans le petit village isolé de Nurbu Chour dans la province de Sankhuwasabha, qui s’étend au nord-est du Népal. Les compagnons de mon enfance furent les yacks et les sommets de la chaîne himalayenne qui me subjuguaient déjà. Je n’avais qu’à lever les yeux pour contempler leurs cimes. Je les fixais de longues heures ininterrompues, l’attention intégralement accaparée. Dans le village, nous ne nous lassions jamais de raconter les exploits de Tenzing Norgay, notre héros national, qui fut le premier à gravir le Sagarmāthā (l’Everest, en népalais). Je compris bien vite que je voulais consacrer ma vie à la conquête de ces sommets mythiques. À 16 ans, je m’installai à Katmandou pour suivre une formation sur les techniques d’himalayisme. Ce furent les débuts d’une existence dévouée à la montagne. Dès mes 17 ans, je n’avais plus qu’un seul objectif : être le plus jeune grimpeur à atteindre le toit du monde sans oxygène supplémentaire. Finalement, en 2004, à l’âge de 19 ans, lors d’une ascension très médiatisée, je pus enfin réaliser mon rêve. Grâce à la notoriété acquise, j’ai créé une agence, aujourd’hui la plus importante du Népal, pour guider les expéditions sur les sommets les moins accessibles de l’Himalaya. Je suis retourné à sept reprises au sommet du Sagarmāthā.
Bien que l’Aconcagua soit le plus haut sommet du continent américain, j’ai tardé à l’inclure dans la liste des expéditions que proposait mon agence. Peut-être parce que, malgré son altitude très élevée, son ascension ne présente pas de difficulté majeure sur le plan technique : aucune escalade de paroi rocheuse ou cascade de glace. Par beau temps, elle pourrait quasiment être semblable à un long trek d’une vingtaine de jours. Mais la montagne reste le lieu de l’imprévu par excellence. La météo change rapidement et une tempête peut s’abattre sur vous sans que vous ne l’ayez anticipée. L’Aconcagua n’échappe pas à cette règle. Je me souviens notamment de la tragédie du guide italo-argentin Federico Campanini, survenue en 2009. L’histoire commence lorsque le groupe d’une demi-dizaine d’Italiens se perd dans la descente au milieu d’une forte tempête, au cours de laquelle un des alpinistes meurt après une chute. La situation empira quand il devint clair que les hallucinations et problèmes respiratoires du guide étaient les symptômes d’un sévère œdème pulmonaire. Il ne pouvait littéralement plus avancer. Une opération de sauvetage fut lancée après avoir réussi à localiser – non sans difficultés – les survivants et à les évacuer, à l’exception du guide de 31 ans qui demeurait incapable de se mouvoir après avoir passé deux jours dehors. Les sauveteurs totalement sidérés iront jusqu’à demander aux autorités, grâce à leur radio, l’autorisation d’abandonner le pauvre guide sur place. La scène, équivalant implicitement à une condamnation à mort, fut filmée et diffusée dans les médias. Cet épisode créa une vive controverse en Argentine et dans le milieu de la montagne. Pros et antis s’opposaient. D’aucuns accusèrent les sauveteurs de négligence et d’abandon. D’autres les défendirent en avançant qu’ils ne pouvaient mettre le reste de l’équipée en danger plus longtemps. Quel que soit l’avis sur la question, ce douloureux épisode illustre bien qu’en haute altitude tout faux pas, tout incident, peut avoir des conséquences dramatiques.
Même si je n’ai, pour l’instant, lu Tempête sur l’Aconcagua que par une première traduction anglaise, ses qualités sont manifestes. Aymeric nous plonge avec justesse et talent dans le spectacle inhospitalier et grandiose de la cordillère des Andes. Il raconte de manière palpitante la dernière partie de l’ascension qui fut la plus difficile. Il consacre aussi une place importante aux hommes et aux femmes dont nous avons croisé la route. Mais Tempête sur l’Aconcagua est avant tout un formidable récit d’initiation. On découvre avec émotion Aymeric s’ouvrir à la majesté du monde de la haute montagne. Le périple de ces trois amis est la preuve que les sommets du monde ne sont pas réservés aux seuls alpinistes expérimentés, mais bien ouverts à tous. En ce temps de pandémie, Tempête sur l’Aconcagua invite à voyager et souffle un vent puissant et rafraîchissant sur nos vies confinées. Ce livre nous réconcilie avec le goût de l’aventure et du risque.
Enfin, Tempête sur l’Aconcagua n’oublie pas de viser plus haut. Il ne se contente pas de suivre le tracé factuel d’un périple montagnard. Le récit acquiert une épaisseur et une générosité en marchant, en toile de fond, dans les traces de ceux qui ont risqué leur vie dans cet environnement hostile à l’homme. Il est parsemé d’anecdotes inspirantes qui nous invitent à conduire notre vie enhardie de sentiments nobles. Tempête sur l’Aconcagua est aussi d’une étonnante richesse intellectuelle. Lorsque nous marchions ensemble, Aymeric m’expliquait qu’il fonctionnait “par induction”, c’est-à-dire qu’il tirait ses réflexions d’une expérience vécue.
Je vous souhaite d’apprécier autant que moi ce récit nourrissant. J’espère qu’il vous donnera l’envie de partir à l’aventure. »