Au contact des moines :
« Deux jours après Yajiang, nous empruntons un chemin de traverse et suivons le fond quasiment plat d’une nouvelle vallée à 3 600 mètres d’altitude. Les paysages sont magnifiques. En ce mois de mai, l’herbe de la steppe est rase et se décline en une multitude de couleurs selon l’humidité du sol, du brun jaunâtre sur les tertres au vert sapin dans les dépressions. De vastes pâturages sur l’adret et quelques forêts de conifères sur l’ubac, de petits ruisseaux tressés qui dispensent une eau si limpide que nous la décrétons potable et, de-ci de-là, quelques tentes de nomades et leurs troupeaux de yacks : rien d’autre à perte de vue, hormis le soleil qui brille dans un ciel somptueux. Ce sont les paysages que nous préférons depuis le début de notre périple, et nous nous y sentons parfaitement à notre place et incroyablement à l’aise. La vie y est rude pour les bergers, surtout à la mauvaise saison mais, pour des randonneurs comme nous, elle paraît simple et évidente ! Pour la première fois, nous avons l’un comme l’autre le sentiment d’avoir trouvé notre éden. Nous sommes quasiment seuls dans cet environnement grandiose et nous croyons presque à l’origine du monde. Nous avons tout loisir d’observer la faune sauvage qui prend la pose : des biches, des marmottes et surtout des colonies entières de singes dont la présence à ces altitudes surprend. Les primates, qui vivent par communautés de plusieurs dizaines d’individus, sont tellement nombreux et de si grande taille que Julie est presque inquiète de bivouaquer dans leurs parages ! Un midi, nous débusquons une cascatelle à l’écart du chemin. L’eau est fraîche mais revigorante et nous nous douchons avec délectation. Sécher nus au soleil, allongés sur des dalles tièdes, la tête perdue dans les nuages? Nous faisons traîner ce grand moment de plénitude et gravons à jamais dans nos cœurs le bien-être ressenti dans cette oasis spatiale et temporelle.
Nous passons cinq journées formidables, perdus dans ces immensités, et arrivons un peu malgré nous à Larima, petite bourgade tibétaine. Elle est sur notre chemin et nous permet de nous ravitailler, mais nous ne nous y attardons pas, trop pressés de retrouver notre tente, le ciel étoilé et un certain isolement.
C’est quelques dizaines de kilomètres avant l’arrivée à Larima que nous croisons pour la deuxième fois un ancien moine de Dharamsala. Nous sommes sur la piste, dans une sorte de canyon sans visibilité, où c’est d’abord la pétarade d’un moteur que nous percevons. Et puis, au détour d’un virage, apparaît un Tibétain à moto avec une couronne de feuilles et de fleurs sur la tête. La surprise est de taille car la route que nous suivons est très peu fréquentée et cette moto comme son pilote sont absolument atypiques. La machine est une sportive japonaise, avec carénage intégral, guidon bracelet et petite bulle. Absolument rien à voir avec les pétrolettes chinoises que nous observons depuis le Yunnan. Pourtant, la piste est caillouteuse et difficilement praticable ! Le pilote, outre sa surprenante couronne, porte un blouson de cuir que n’aurait pas renié Steve McQueen, des gants épais et une grosse écharpe de laine tandis que nous transpirons avec nos manches relevées. Il s’arrête à nos côtés et nous interpelle en anglais. Seconde surprise ! À l’instar de Thokmay, Tengpa a appris l’anglais en Inde, alors qu’il était moine auprès du chef spirituel du bouddhisme tibétain. Il nous explique en deux minutes son retour en Chine, ses sept mois de détention à la prison de Chengdu parce qu’il n’avait pas de papiers, et sa vie actuelle dans une ville à plus de 100 kilomètres de notre point de rencontre. Ville qu’il doit d’ailleurs rejoindre immédiatement pour une raison obscure. Il est aussi loin de l’apparence d’un moine que nous le sommes nous-mêmes d’un autochtone : tee-shirt de basket américain et survêtement de sport assortis aux autocollants de la NBA qu’il a disposés un peu partout sur sa moto, cheveux courts mais pas rasés comme les bonzes, on l’imagine plus buvant des bières et jouant au billard qu’en méditation samatha – une pratique de concentration propre au bouddhisme tibétain. Nous discutons quelques trop courts instants, à l’issue desquels il nous somme d’aller voir Dorje, un de ses amis avec lequel il a suivi les enseignements du dalaï-lama. Il nous affirme avec conviction que Dorje sera enchanté de parler anglais et de nous accueillir. Il nous écrit son nom en tibétain et chinois sur un papier, et nous croyons comprendre que nous le trouverons à une trentaine de kilomètres de là, aux abords d’un monastère. Nous prenons les photos d’usage pour fixer les traits de Tengpa et repartons sur la piste, emplis de l’espoir de pouvoir passer un moment dans un monastère aux côtés d’un lama anglophone. Le reste de l’après-midi s’écoule à scruter l’horizon, pour essayer de déceler dans le lointain les drapeaux de couleur qui virevoltent au vent, caractéristiques de l’approche d’un monument. Mais le soir arrive et nous laisse bredouilles. Au bivouac, nous sommes encore excités et impatients de la rencontre annoncée. Le lendemain midi, nous découvrons effectivement des bâtiments religieux, sortes de grands chortens entourés d’anciennes habitations abandonnées. Les maisonnettes de terre sont presque en ruine mais les édifices bouddhistes ont fière allure dans ce magnifique décor. Nous optons pour une pause déjeuner, en espérant la venue de Dorje que nous imaginons s’avancer vers nous dans sa robe pourpre. »
Les plantations de Pu’erh (p. 59-62)
La cueillette du thé (p. 263-267)
Extrait court
« Deux jours après Yajiang, nous empruntons un chemin de traverse et suivons le fond quasiment plat d’une nouvelle vallée à 3 600 mètres d’altitude. Les paysages sont magnifiques. En ce mois de mai, l’herbe de la steppe est rase et se décline en une multitude de couleurs selon l’humidité du sol, du brun jaunâtre sur les tertres au vert sapin dans les dépressions. De vastes pâturages sur l’adret et quelques forêts de conifères sur l’ubac, de petits ruisseaux tressés qui dispensent une eau si limpide que nous la décrétons potable et, de-ci de-là, quelques tentes de nomades et leurs troupeaux de yacks : rien d’autre à perte de vue, hormis le soleil qui brille dans un ciel somptueux. Ce sont les paysages que nous préférons depuis le début de notre périple, et nous nous y sentons parfaitement à notre place et incroyablement à l’aise. La vie y est rude pour les bergers, surtout à la mauvaise saison mais, pour des randonneurs comme nous, elle paraît simple et évidente ! Pour la première fois, nous avons l’un comme l’autre le sentiment d’avoir trouvé notre éden. Nous sommes quasiment seuls dans cet environnement grandiose et nous croyons presque à l’origine du monde. Nous avons tout loisir d’observer la faune sauvage qui prend la pose : des biches, des marmottes et surtout des colonies entières de singes dont la présence à ces altitudes surprend. Les primates, qui vivent par communautés de plusieurs dizaines d’individus, sont tellement nombreux et de si grande taille que Julie est presque inquiète de bivouaquer dans leurs parages ! Un midi, nous débusquons une cascatelle à l’écart du chemin. L’eau est fraîche mais revigorante et nous nous douchons avec délectation. Sécher nus au soleil, allongés sur des dalles tièdes, la tête perdue dans les nuages? Nous faisons traîner ce grand moment de plénitude et gravons à jamais dans nos cœurs le bien-être ressenti dans cette oasis spatiale et temporelle.
Nous passons cinq journées formidables, perdus dans ces immensités, et arrivons un peu malgré nous à Larima, petite bourgade tibétaine. Elle est sur notre chemin et nous permet de nous ravitailler, mais nous ne nous y attardons pas, trop pressés de retrouver notre tente, le ciel étoilé et un certain isolement.
C’est quelques dizaines de kilomètres avant l’arrivée à Larima que nous croisons pour la deuxième fois un ancien moine de Dharamsala. Nous sommes sur la piste, dans une sorte de canyon sans visibilité, où c’est d’abord la pétarade d’un moteur que nous percevons. Et puis, au détour d’un virage, apparaît un Tibétain à moto avec une couronne de feuilles et de fleurs sur la tête. La surprise est de taille car la route que nous suivons est très peu fréquentée et cette moto comme son pilote sont absolument atypiques. La machine est une sportive japonaise, avec carénage intégral, guidon bracelet et petite bulle. Absolument rien à voir avec les pétrolettes chinoises que nous observons depuis le Yunnan. Pourtant, la piste est caillouteuse et difficilement praticable ! Le pilote, outre sa surprenante couronne, porte un blouson de cuir que n’aurait pas renié Steve McQueen, des gants épais et une grosse écharpe de laine tandis que nous transpirons avec nos manches relevées. Il s’arrête à nos côtés et nous interpelle en anglais. Seconde surprise ! À l’instar de Thokmay, Tengpa a appris l’anglais en Inde, alors qu’il était moine auprès du chef spirituel du bouddhisme tibétain. Il nous explique en deux minutes son retour en Chine, ses sept mois de détention à la prison de Chengdu parce qu’il n’avait pas de papiers, et sa vie actuelle dans une ville à plus de 100 kilomètres de notre point de rencontre. Ville qu’il doit d’ailleurs rejoindre immédiatement pour une raison obscure. Il est aussi loin de l’apparence d’un moine que nous le sommes nous-mêmes d’un autochtone : tee-shirt de basket américain et survêtement de sport assortis aux autocollants de la NBA qu’il a disposés un peu partout sur sa moto, cheveux courts mais pas rasés comme les bonzes, on l’imagine plus buvant des bières et jouant au billard qu’en méditation samatha – une pratique de concentration propre au bouddhisme tibétain. Nous discutons quelques trop courts instants, à l’issue desquels il nous somme d’aller voir Dorje, un de ses amis avec lequel il a suivi les enseignements du dalaï-lama. Il nous affirme avec conviction que Dorje sera enchanté de parler anglais et de nous accueillir. Il nous écrit son nom en tibétain et chinois sur un papier, et nous croyons comprendre que nous le trouverons à une trentaine de kilomètres de là, aux abords d’un monastère. Nous prenons les photos d’usage pour fixer les traits de Tengpa et repartons sur la piste, emplis de l’espoir de pouvoir passer un moment dans un monastère aux côtés d’un lama anglophone. Le reste de l’après-midi s’écoule à scruter l’horizon, pour essayer de déceler dans le lointain les drapeaux de couleur qui virevoltent au vent, caractéristiques de l’approche d’un monument. Mais le soir arrive et nous laisse bredouilles. Au bivouac, nous sommes encore excités et impatients de la rencontre annoncée. Le lendemain midi, nous découvrons effectivement des bâtiments religieux, sortes de grands chortens entourés d’anciennes habitations abandonnées. Les maisonnettes de terre sont presque en ruine mais les édifices bouddhistes ont fière allure dans ce magnifique décor. Nous optons pour une pause déjeuner, en espérant la venue de Dorje que nous imaginons s’avancer vers nous dans sa robe pourpre. »
(p. 319-323)
Les plantations de Pu’erh (p. 59-62)
La cueillette du thé (p. 263-267)
Extrait court