Les acclamations de la postérité :
« Arrivés au poste-frontière de Sadakhlo, nous sommes descendus avec nos bagages et avons montré patte blanche aux autorités des deux côtés. L’ancien conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan était dans toutes les bouches et, à présent, il y avait en outre l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Ces derniers temps, les esprits s’échauffaient très vite, aussi valait-il mieux éviter les complications inutiles et les sujets qui fâchent. Les deux sacs que j’ai soulevés pesaient des tonnes ! Un jeune Géorgien s’est précipité vers les deux sacs restants. Assis dans le bus avant mon arrivée, il devait se demander dans quelle langue singulière nous nous exprimions. Je me suis tourné vers la Yézidie et lui ai demandé ce qu’elle transportait de si lourd. Était-ce du plomb ou quoi ? En se dandinant sur ses jambes arquées, chargée pour sa part de deux sacs, elle m’a répondu que c’étaient des légumes marinés. Chaque fois qu’elle allait voir sa petite à Tbilissi, elle rentrait chargée de provisions comme si l’on mourait de faim en “Armenistan”. Sa petite était vraiment quelqu’un de très bien, cher Monsieur !
De nouveau dans le minibus, nous avons traversé les gorges de la Debed qui m’étaient désormais familières. Les villes arméniennes du nord se sont succédé. Nazeli, qui était avec nous du voyage depuis Tbilissi, est descendue à Vanadzor. Elle travaillait dans un salon de coiffure à Lausanne et rendait visite à sa famille en Arménie et en Géorgie. Elle était la seule à porter un masque et à parler la langue qui ressemble au gazouillis des moineaux le soir dans les arbres fruitiers. La végétation luxuriante du nord a cédé la place au paysage minéral et rude du centre de l’Arménie. Le chauffeur s’est arrêté à Rya Taza, le cœur palpitant de la communauté yézidie en Transcaucasie. La vieille femme était arrivée à destination. Son mari l’attendait à côté d’une vénérable Mercedes. Rasé de près et habillé avec soin, il savait que sa femme reviendrait chargée comme une mule. J’ai placé les six sacs dans le coffre de sa voiture. La dame m’a soudain fait penser à ma grand-mère, du temps où j’étais enfant. Elle a levé ses deux mains vers le soleil qui cheminait dans le ciel au-dessus des montagnes enneigées. Elle a supplié Tawisê Malak de me préserver du malheur et de guider mes pas dans ce monde de plus en plus incompréhensible. Elle n’avait pas douté une seconde que je puisse être d’une autre confession qu’elle et Hamlet. »
Le berceau de Harutyun, le futur poète (p. 77-79)
La princesse Ana ou l’amour proscrit (p. 124-125)
Extrait court
« Arrivés au poste-frontière de Sadakhlo, nous sommes descendus avec nos bagages et avons montré patte blanche aux autorités des deux côtés. L’ancien conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan était dans toutes les bouches et, à présent, il y avait en outre l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Ces derniers temps, les esprits s’échauffaient très vite, aussi valait-il mieux éviter les complications inutiles et les sujets qui fâchent. Les deux sacs que j’ai soulevés pesaient des tonnes ! Un jeune Géorgien s’est précipité vers les deux sacs restants. Assis dans le bus avant mon arrivée, il devait se demander dans quelle langue singulière nous nous exprimions. Je me suis tourné vers la Yézidie et lui ai demandé ce qu’elle transportait de si lourd. Était-ce du plomb ou quoi ? En se dandinant sur ses jambes arquées, chargée pour sa part de deux sacs, elle m’a répondu que c’étaient des légumes marinés. Chaque fois qu’elle allait voir sa petite à Tbilissi, elle rentrait chargée de provisions comme si l’on mourait de faim en “Armenistan”. Sa petite était vraiment quelqu’un de très bien, cher Monsieur !
De nouveau dans le minibus, nous avons traversé les gorges de la Debed qui m’étaient désormais familières. Les villes arméniennes du nord se sont succédé. Nazeli, qui était avec nous du voyage depuis Tbilissi, est descendue à Vanadzor. Elle travaillait dans un salon de coiffure à Lausanne et rendait visite à sa famille en Arménie et en Géorgie. Elle était la seule à porter un masque et à parler la langue qui ressemble au gazouillis des moineaux le soir dans les arbres fruitiers. La végétation luxuriante du nord a cédé la place au paysage minéral et rude du centre de l’Arménie. Le chauffeur s’est arrêté à Rya Taza, le cœur palpitant de la communauté yézidie en Transcaucasie. La vieille femme était arrivée à destination. Son mari l’attendait à côté d’une vénérable Mercedes. Rasé de près et habillé avec soin, il savait que sa femme reviendrait chargée comme une mule. J’ai placé les six sacs dans le coffre de sa voiture. La dame m’a soudain fait penser à ma grand-mère, du temps où j’étais enfant. Elle a levé ses deux mains vers le soleil qui cheminait dans le ciel au-dessus des montagnes enneigées. Elle a supplié Tawisê Malak de me préserver du malheur et de guider mes pas dans ce monde de plus en plus incompréhensible. Elle n’avait pas douté une seconde que je puisse être d’une autre confession qu’elle et Hamlet. »
(p. 160-161)
Le berceau de Harutyun, le futur poète (p. 77-79)
La princesse Ana ou l’amour proscrit (p. 124-125)
Extrait court