Novembre :
« Au milieu de l’espace morcelé que je traverse comme l’usager invoqué par Perec, je passe d’un pan de campagne à un autre comme s’ils se succédaient sans heurt. Sans y penser, mon regard choisit ce qu’il veut accommoder pour cette journée. Sur un flanc ombragé, une belle demeure semble mourir à petit feu. Ses volets fermés, sa clôture infranchissable, tout suggère un lieu déserté par la vie. Plus loin, derrière les hautes herbes, les cordes à linge oscillent dans le vent qui laisse valser le linge. On détourne alors la tête pour ne pas entrer dans l’intimité d’une maison pourtant éloignée. À l’intersection suivante, une autre est accolée au chemin. Quand les cerises percent les arbres de la propriété qu’il traverse, les marcheurs se servent. Un panneau de carton accroché aux branches les incite à ne pas trop abuser. Puis la pluie qui le dégrade rend la demande illisible. Plus loin, dans son jardin, un vieil homme regarde le sentier, scrute les passages autant que les paysages. Bientôt il me happe du regard, un regard où je crois lire l’envie de discuter un moment. Comme le temps n’est pas compté, je lui fais un signe. Aussi s’approche-t-il de la clôture pas à pas, lentement, toujours sur le point de vaciller. Nous parlons du temps qu’il fait, du temps qui passe. Chaque mot lui coûte, alors je compte les miens. Profitant de ce moment de conversation, la chèvre qui le suit et semble le protéger comme un jeune chien s’est introduite dans la maison. Après s’être alanguie sur le pas-de-porte, elle s’installe sur le carrelage dans un rayon de soleil. J’aimerais connaître le nom de sa biquette mais nous rions ensemble car c’est aussi son cas. Il faut ensuite se séparer et c’est toujours un moment pénible. Je me distrais de peu : trois arbres arborent des lames métalliques qui brillent dans le soleil comme des médailles : 187, 188, 189. Me vient une sympathie pour ces chênes dans lesquels on a planté de longs clous. Je ne sais pas ce qui leur vaut d’être stigmatisés : est-ce le travail d’un écologue, un besoin de référencement, une étude visant à les préserver d’un parasite ? Quelques-unes de leurs feuilles marcescentes permettent de reconnaître ces arbres aux variétés nombreuses et qui couvrent davantage nos paysages que les palmiers plantés en abondance sur la Riviera : chêne blanc, chêne vert, chêne-liège, chêne kermès et j’en oublie sans doute. Dans les jardins, on voit que les palmiers n’ont pas résisté à la prolifération des charançons qui s’est étendue sur le pourtour méditerranéen. Ils se sont fanés. Sèches et ternes, leurs palmes qui s’agitaient avec splendeur tombent lamentablement, sans plus chercher le vent. Certains propriétaires ont tenté des traitements et puis se sont résolus à voir ces seigneurs se flétrir comme une simple rose. Par économie, ils les ont étêtés plutôt que dessouchés. Ils dressent à présent leur tronc mutilé et piteux comme un doigt accusateur vers le ciel. »
Novembre (p. 18-20)
Novembre (p. 28-30)
Extrait court
« Au milieu de l’espace morcelé que je traverse comme l’usager invoqué par Perec, je passe d’un pan de campagne à un autre comme s’ils se succédaient sans heurt. Sans y penser, mon regard choisit ce qu’il veut accommoder pour cette journée. Sur un flanc ombragé, une belle demeure semble mourir à petit feu. Ses volets fermés, sa clôture infranchissable, tout suggère un lieu déserté par la vie. Plus loin, derrière les hautes herbes, les cordes à linge oscillent dans le vent qui laisse valser le linge. On détourne alors la tête pour ne pas entrer dans l’intimité d’une maison pourtant éloignée. À l’intersection suivante, une autre est accolée au chemin. Quand les cerises percent les arbres de la propriété qu’il traverse, les marcheurs se servent. Un panneau de carton accroché aux branches les incite à ne pas trop abuser. Puis la pluie qui le dégrade rend la demande illisible. Plus loin, dans son jardin, un vieil homme regarde le sentier, scrute les passages autant que les paysages. Bientôt il me happe du regard, un regard où je crois lire l’envie de discuter un moment. Comme le temps n’est pas compté, je lui fais un signe. Aussi s’approche-t-il de la clôture pas à pas, lentement, toujours sur le point de vaciller. Nous parlons du temps qu’il fait, du temps qui passe. Chaque mot lui coûte, alors je compte les miens. Profitant de ce moment de conversation, la chèvre qui le suit et semble le protéger comme un jeune chien s’est introduite dans la maison. Après s’être alanguie sur le pas-de-porte, elle s’installe sur le carrelage dans un rayon de soleil. J’aimerais connaître le nom de sa biquette mais nous rions ensemble car c’est aussi son cas. Il faut ensuite se séparer et c’est toujours un moment pénible. Je me distrais de peu : trois arbres arborent des lames métalliques qui brillent dans le soleil comme des médailles : 187, 188, 189. Me vient une sympathie pour ces chênes dans lesquels on a planté de longs clous. Je ne sais pas ce qui leur vaut d’être stigmatisés : est-ce le travail d’un écologue, un besoin de référencement, une étude visant à les préserver d’un parasite ? Quelques-unes de leurs feuilles marcescentes permettent de reconnaître ces arbres aux variétés nombreuses et qui couvrent davantage nos paysages que les palmiers plantés en abondance sur la Riviera : chêne blanc, chêne vert, chêne-liège, chêne kermès et j’en oublie sans doute. Dans les jardins, on voit que les palmiers n’ont pas résisté à la prolifération des charançons qui s’est étendue sur le pourtour méditerranéen. Ils se sont fanés. Sèches et ternes, leurs palmes qui s’agitaient avec splendeur tombent lamentablement, sans plus chercher le vent. Certains propriétaires ont tenté des traitements et puis se sont résolus à voir ces seigneurs se flétrir comme une simple rose. Par économie, ils les ont étêtés plutôt que dessouchés. Ils dressent à présent leur tronc mutilé et piteux comme un doigt accusateur vers le ciel. »
(p. 115-117)
Novembre (p. 18-20)
Novembre (p. 28-30)
Extrait court