Novembre :
« Le chemin s’enfile sous un tunnel sombre et bruyant où l’on entend le grincement sinistre des machines, des rouages, des turbines. La montagne se fige contre la paroi de béton où l’eau afflue, dévale et tempête tandis que je fixe un point de lumière désiré, au loin. À l’endroit où le canal débute, la Siagne a déjà creusé le relief depuis une dizaine de kilomètres et je tente pour le moment de m’en aller vers ses gorges : comment le fleuve est-il né, quel parcours a-t-il suivi ? En rêve, j’avais vu une résurgence sortir d’un rocher en toute discrétion. Puis, je m’étais figuré une sorte de geyser. J’aimais tellement ses teintes et son cours capricieux qu’il me tardait de connaître sa filiation. Quant à trouver son point de départ véritable, je savais que mon exploration serait sans fin : où trouverais-je la première gouttelette ruisselant sur la roche ? À quel carrefour des profondeurs s’orientait-elle vers le chemin de la côte ? Car ici, dans un département où les Alpes s’apaisent à l’approche des rivages, ces cours d’eau sont tous des fleuves. On ne les imagine pas aussi exaltés qu’un torrent, ni aussi bleus qu’un lac d’altitude. Ils semblent vifs et bruyants, plein d’animation personnelle, déterminés à choisir l’endroit le plus opportun pour se jeter, Nice, Cagnes, Mandelieu ou Antibes. Mais je m’en rends compte, il faudrait monter longuement des voies abruptes pour dépasser ce tumulte et l’obscurité d’un relief confus. Je longe encore un moment la montagne. Sur cette rive, les forêts moites dominent un relief puissant. Depuis quelques jours, les pluies ont nourri les tapis d’herbe et comblé les ornières. On voit les torrents qui dévalent de toutes parts et affluent en exaltant les mousses. S’il pleuvait encore, si le vent soufflait, on pourrait craindre de marcher ici. Car souvent, nous redoutons les automnes, les printemps. Dans cette zone où les orages d’hiver nous figent, nous craignons les trombes d’eau qui inquiètent nos âmes restées sauvages malgré nos conforts provisoires. La querelle pour l’espace et la lumière y est violente. Les branches ébouriffées, cassées, tombées, tout cela ressemble à un champ de bataille où l’on aurait abandonné les cadavres. Mais ici, ce sont des soldats bien vivants et indisciplinés, des arbres frémissant au moindre souffle et qui se livrent un combat naturel. »
Novembre (p. 18-20)
Novembre (p. 115-117)
Extrait court
« Le chemin s’enfile sous un tunnel sombre et bruyant où l’on entend le grincement sinistre des machines, des rouages, des turbines. La montagne se fige contre la paroi de béton où l’eau afflue, dévale et tempête tandis que je fixe un point de lumière désiré, au loin. À l’endroit où le canal débute, la Siagne a déjà creusé le relief depuis une dizaine de kilomètres et je tente pour le moment de m’en aller vers ses gorges : comment le fleuve est-il né, quel parcours a-t-il suivi ? En rêve, j’avais vu une résurgence sortir d’un rocher en toute discrétion. Puis, je m’étais figuré une sorte de geyser. J’aimais tellement ses teintes et son cours capricieux qu’il me tardait de connaître sa filiation. Quant à trouver son point de départ véritable, je savais que mon exploration serait sans fin : où trouverais-je la première gouttelette ruisselant sur la roche ? À quel carrefour des profondeurs s’orientait-elle vers le chemin de la côte ? Car ici, dans un département où les Alpes s’apaisent à l’approche des rivages, ces cours d’eau sont tous des fleuves. On ne les imagine pas aussi exaltés qu’un torrent, ni aussi bleus qu’un lac d’altitude. Ils semblent vifs et bruyants, plein d’animation personnelle, déterminés à choisir l’endroit le plus opportun pour se jeter, Nice, Cagnes, Mandelieu ou Antibes. Mais je m’en rends compte, il faudrait monter longuement des voies abruptes pour dépasser ce tumulte et l’obscurité d’un relief confus. Je longe encore un moment la montagne. Sur cette rive, les forêts moites dominent un relief puissant. Depuis quelques jours, les pluies ont nourri les tapis d’herbe et comblé les ornières. On voit les torrents qui dévalent de toutes parts et affluent en exaltant les mousses. S’il pleuvait encore, si le vent soufflait, on pourrait craindre de marcher ici. Car souvent, nous redoutons les automnes, les printemps. Dans cette zone où les orages d’hiver nous figent, nous craignons les trombes d’eau qui inquiètent nos âmes restées sauvages malgré nos conforts provisoires. La querelle pour l’espace et la lumière y est violente. Les branches ébouriffées, cassées, tombées, tout cela ressemble à un champ de bataille où l’on aurait abandonné les cadavres. Mais ici, ce sont des soldats bien vivants et indisciplinés, des arbres frémissant au moindre souffle et qui se livrent un combat naturel. »
(p. 28-30)
Novembre (p. 18-20)
Novembre (p. 115-117)
Extrait court