Novembre :
« Depuis quelque temps, je marchais moins vite, préférant musarder, flâner, observer, sentir. J’essayais de mieux voir ce qui m’entourait et de comprendre comment les choses m’atteignaient si profondément. S’il fallait rebrousser chemin avant d’avoir atteint un village, une montagne, une cascade ou un lac parce que j’étais fatiguée ou que je n’en avais plus envie, je revenais sans éprouver de regret. Je n’étais plus atteinte par l’impression d’avoir capitulé, sentant que les efforts déployés étaient autres. Cette fois, je voulais profiter de l’eau pure et changeante, tantôt dénouée, tantôt agitée. Si les arbres réunis en voûte au-dessus de l’onde me paraissaient beaux, c’était une raison suffisante pour faire une pause. Sous les ramures des chênes, j’observais un souffle, une ombre, un rien. Je n’avais plus cette manie de vouloir embrasser beaucoup en peu de temps, de “faire” un pays, de parcourir de grandes distances. Mon désir le plus urgent était de comprendre les péripéties géographiques d’un environnement qui m’attirait à lui, mon souhait le plus cher de fouiller ses mystères. Puisque j’avais choisi de vivre dans des paysages aux reliefs sinueux, mes incursions ne trouvaient pas de fin. Peu m’importait de pouvoir nommer chaque ravin ou de retenir la nature des roches. Je préférais savoir passer d’un mont à l’autre par le chemin le plus favorable selon la saison. Il me fallait profiter des montagnes en cas de coup dur. Quand la vie me pesait, je voulais pouvoir m’échapper en un instant vers une nature préservée avec laquelle j’avais développé une complicité simple et heureuse. Traverser la France à pied, en faire le tour, me semblaient des projets trop vagues et trop longs. Sans doute étais-je capable de moins. Mon ambition n’était pas d’aller de pôle en pôle ni de faire le tour du monde en quatre-vingts jours. Mon rêve semblait étroit comparé à ceux de grands voyageurs, y compris ceux qui s’étaient illustrés sur le territoire français. À moi, il faudrait un an pour franchir le Mercantour voisin, ce massif qui semblait inépuisable si l’on observait chaque détail d’un paysage métamorphosé par le temps. Je m’imaginais facilement perdue dans le proche Esterel, me mettant au défi d’y vivre en brigand comme Gaspard de Besse sans jamais atteindre ses contreforts.
Par un cheminement constant et d’abord souterrain, je finis par me convaincre que j’étais faite pour ce nomadisme. Partout, les vitres des maisons ou celles des voitures me paraissaient trop épaisses, me coupant des odeurs bénéfiques, des bruits naturels ou d’une osmose profitable. Renoncer à cet instinct m’apparaissait comme la source des malaises qui m’agitaient et me faisaient tourner en rond. On pouvait y remédier et s’en aller dès que possible, ne pas se laisser engluer dans le dédale des villes ou dans le brouillard des désirs vagues et jamais satisfaits. Partir loin n’était pas nécessaire. À présent, il me restait à réaliser cette tentation de l’infime voyage. »
Novembre (p. 28-30)
Novembre (p. 115-117)
Extrait court
« Depuis quelque temps, je marchais moins vite, préférant musarder, flâner, observer, sentir. J’essayais de mieux voir ce qui m’entourait et de comprendre comment les choses m’atteignaient si profondément. S’il fallait rebrousser chemin avant d’avoir atteint un village, une montagne, une cascade ou un lac parce que j’étais fatiguée ou que je n’en avais plus envie, je revenais sans éprouver de regret. Je n’étais plus atteinte par l’impression d’avoir capitulé, sentant que les efforts déployés étaient autres. Cette fois, je voulais profiter de l’eau pure et changeante, tantôt dénouée, tantôt agitée. Si les arbres réunis en voûte au-dessus de l’onde me paraissaient beaux, c’était une raison suffisante pour faire une pause. Sous les ramures des chênes, j’observais un souffle, une ombre, un rien. Je n’avais plus cette manie de vouloir embrasser beaucoup en peu de temps, de “faire” un pays, de parcourir de grandes distances. Mon désir le plus urgent était de comprendre les péripéties géographiques d’un environnement qui m’attirait à lui, mon souhait le plus cher de fouiller ses mystères. Puisque j’avais choisi de vivre dans des paysages aux reliefs sinueux, mes incursions ne trouvaient pas de fin. Peu m’importait de pouvoir nommer chaque ravin ou de retenir la nature des roches. Je préférais savoir passer d’un mont à l’autre par le chemin le plus favorable selon la saison. Il me fallait profiter des montagnes en cas de coup dur. Quand la vie me pesait, je voulais pouvoir m’échapper en un instant vers une nature préservée avec laquelle j’avais développé une complicité simple et heureuse. Traverser la France à pied, en faire le tour, me semblaient des projets trop vagues et trop longs. Sans doute étais-je capable de moins. Mon ambition n’était pas d’aller de pôle en pôle ni de faire le tour du monde en quatre-vingts jours. Mon rêve semblait étroit comparé à ceux de grands voyageurs, y compris ceux qui s’étaient illustrés sur le territoire français. À moi, il faudrait un an pour franchir le Mercantour voisin, ce massif qui semblait inépuisable si l’on observait chaque détail d’un paysage métamorphosé par le temps. Je m’imaginais facilement perdue dans le proche Esterel, me mettant au défi d’y vivre en brigand comme Gaspard de Besse sans jamais atteindre ses contreforts.
Par un cheminement constant et d’abord souterrain, je finis par me convaincre que j’étais faite pour ce nomadisme. Partout, les vitres des maisons ou celles des voitures me paraissaient trop épaisses, me coupant des odeurs bénéfiques, des bruits naturels ou d’une osmose profitable. Renoncer à cet instinct m’apparaissait comme la source des malaises qui m’agitaient et me faisaient tourner en rond. On pouvait y remédier et s’en aller dès que possible, ne pas se laisser engluer dans le dédale des villes ou dans le brouillard des désirs vagues et jamais satisfaits. Partir loin n’était pas nécessaire. À présent, il me restait à réaliser cette tentation de l’infime voyage. »
(p. 18-20)
Novembre (p. 28-30)
Novembre (p. 115-117)
Extrait court