Srinagar et ses curiosités :
« En revenant à la maison, nous trouvons une dizaine de Cachemiris qui attendent M. de Ujfalvy assis ou couchés paresseusement sous la large véranda. On doit les mensurer, et le Premier ministre veut assister à cette opération, afin d’en rendre compte à son maître. M. de Ujfalvy commence aussitôt qu’il est arrivé. Le Cachemiri qui habite ce beau pays ne ressemble nullement à ses voisins. La tête, dont le volume diffère de beaucoup en grosseur de celle de tous les autres peuples que nous avons vus jusqu’à présent, est ce qui frappe le plus en lui. Il a le front haut et bombé, les bosses sourcilières prononcées ; les sourcils sont bien arqués, fournis et presque toujours continus. Le nez est très grand et bien fait, la bouche moyenne et les lèvres particulièrement fines ; la barbe est abondante ; leurs cheveux sont ondés et noirs. Les oreilles sont petites et peu saillantes, mais généralement les extrémités sont grandes. Ils ont la peau velue, leur torse est élancé ; ils sont vigoureux ; leurs muscles sont développés et dénotent la force et la vigueur, surtout en comparaison des hindous de la plaine, qui ont toujours l’air d’un roseau agité par le vent. Malgré toutes ces qualités physiques que possèdent les Cachemiris, on peut répéter ce qu’en disait Jacquemont il y a cinquante ans : “Peuple ingénieux, mais lâche ; ils sont fourbes, plats, menteurs, voleurs, et manquent absolument de courage. Race prodigieusement douée dans un pays merveilleusement fertile, dégénérée moralement et présentant en même temps un physique des mieux constitués. Les femmes sont belles, quoique avec des traits un peu accusés ; elles sont bien faites, mais elles manquent de soins de propreté, et elles sont d’une morale plus que douteuse.” Ce portrait, tracé de main de maître, est encore aujourd’hui d’une scrupuleuse exactitude. Qui donc aurait pu faire changer ce peuple intelligent ? Est-ce le régime auquel il obéit aujourd’hui ? Non. Longtemps courbé sous l’esclavage, asservi à des lois qui ne sont pas les siennes, il vient d’être décimé par une horrible famine qui a réduit la population à son tiers. Cette calamité, due en grande partie à l’imprévoyance des autorités, a duré trois ans sans qu’il fût possible de l’enrayer. Les chemins étroits ne pouvaient laisser passer que des mulets chargés de grain, et les pauvres bêtes, privées elles-mêmes de nourriture, succombaient sous le poids et la fatigue ; des hommes, des femmes couverts de bijoux et tenant dans leurs mains crispées des pièces d’argent, se tordaient et se roulaient dans les tortures de la faim ; des gens hâves et décharnés s’affaissaient sur le seuil de leur maison, suivant d’un œil hagard des vaches maigres et languissantes qui pourtant auraient pu atténuer leurs souffrances. Mais la religion, cette implacable religion qui n’est pourtant pas la leur, leur défendait, sous peine de mort, de toucher à ces animaux sacrés. Ainsi au Cachemire, dans un pays habité par des musulmans, il est défendu de tuer une vache ou un bœuf, parce que le maharajah est hindou et que cet animal est l’animal sacré par excellence. La bouse de vache constitue, aux yeux de ce peuple fanatique, la purification la plus efficace ; tout ce qui est impur ou a pu le devenir est purifié par elle.
Un brahmane a-t-il été souillé par quelque attouchement, vite il va se purifier en buvant de l’urine de vache et en se frottant avec de la bouse. Malheur au propriétaire qui perd sa vache ! car le ciel est en grande fureur contre lui.
Le Premier ministre du Népal disait un jour à M. Henvey, alors résident anglais dans ce pays : “Si un de vos compatriotes venait à tuer un indigène, je pourrais très bien le sauver ; mais si par malheur il tuait une vache, il me serait impossible de le soustraire au supplice.” Lorsque les troupes du maharajah allèrent en guerre dans le pays de Gilgit, il arriva que ces malheureux soldats fussent sur le point de périr, faute d’aliments. Ils avaient comme bêtes de somme des buffles, mais ils se seraient laissés mourir de faim plutôt que d’y toucher ; il fallut consulter les brahmanes, qui, s’étant assemblés et ayant délibéré, déclarèrent que le buffle n’était pas un bœuf et qu’on pouvait le manger. C’est ainsi que cette malheureuse armée fut sauvée. Il est plus que probable que les brahmanes, souffrant eux-mêmes de la faim, auront trouvé cette ingénieuse combinaison, qui satisfaisait en même temps leur conscience et leur appétit. Pourtant il n’est pas rare de voir les hindous maltraiter leurs vaches et leur donner des coups. Dans la partie des Indes qui appartient aux Anglais, la vente de viande de vache et de bœuf ne souffre aucun inconvénient. Les brahmanes sont très tolérants à cet égard, et un fait que j’ai lu doit ici trouver sa place ; il prouvera jusqu’à quel point les brahmanes modifient jusqu’aux prescriptions les plus sévères de la loi.
“Au temps d’Akbar, un brahmane pria ce prince de faire un édit par lequel il défendît de tuer une seule vache dans sa province ; ce prince, ayant accédé à sa demande, fut bien étonné de voir quelque temps plus tard le brahmane qui venait le prier de nouveau de révoquer cet édit. Akbar voulut savoir pourquoi ce changement. Le brahmane lui répondit qu’il avait vu en songe plusieurs vaches qui, furieuses, l’avaient poursuivi de leurs cornes, et que l’une d’entre elles lui avait dit : ‘Ne sais-tu pas qu’après notre mort nos âmes doivent passer en d’autres corps sous des formes plus nobles ? Si ta religion défend de nous tuer et de nous procurer cet avantage, n’empêche pas les autres de le faire, car, en l’empêchant, tu deviens notre ennemi.’”
Cette anecdote doit servir à calmer les remords des hindous, auxquels le trafic de la viande de bœuf procure de grands avantages. Quoi qu’il en soit, cette vente n’est pas tolérée au Cachemire et le peuple, quoique musulman, doit s’y soumettre. Je ne crois pas que Ranbir Singh ait de mauvaises intentions, au contraire, mais il est tellement entre les mains des brahmanes que ceux-ci en font ce qu’ils veulent. »
Le Kulu (p. 109-112)
De Srinagar à Murree (p. 461-464)
Extrait court
« En revenant à la maison, nous trouvons une dizaine de Cachemiris qui attendent M. de Ujfalvy assis ou couchés paresseusement sous la large véranda. On doit les mensurer, et le Premier ministre veut assister à cette opération, afin d’en rendre compte à son maître. M. de Ujfalvy commence aussitôt qu’il est arrivé. Le Cachemiri qui habite ce beau pays ne ressemble nullement à ses voisins. La tête, dont le volume diffère de beaucoup en grosseur de celle de tous les autres peuples que nous avons vus jusqu’à présent, est ce qui frappe le plus en lui. Il a le front haut et bombé, les bosses sourcilières prononcées ; les sourcils sont bien arqués, fournis et presque toujours continus. Le nez est très grand et bien fait, la bouche moyenne et les lèvres particulièrement fines ; la barbe est abondante ; leurs cheveux sont ondés et noirs. Les oreilles sont petites et peu saillantes, mais généralement les extrémités sont grandes. Ils ont la peau velue, leur torse est élancé ; ils sont vigoureux ; leurs muscles sont développés et dénotent la force et la vigueur, surtout en comparaison des hindous de la plaine, qui ont toujours l’air d’un roseau agité par le vent. Malgré toutes ces qualités physiques que possèdent les Cachemiris, on peut répéter ce qu’en disait Jacquemont il y a cinquante ans : “Peuple ingénieux, mais lâche ; ils sont fourbes, plats, menteurs, voleurs, et manquent absolument de courage. Race prodigieusement douée dans un pays merveilleusement fertile, dégénérée moralement et présentant en même temps un physique des mieux constitués. Les femmes sont belles, quoique avec des traits un peu accusés ; elles sont bien faites, mais elles manquent de soins de propreté, et elles sont d’une morale plus que douteuse.” Ce portrait, tracé de main de maître, est encore aujourd’hui d’une scrupuleuse exactitude. Qui donc aurait pu faire changer ce peuple intelligent ? Est-ce le régime auquel il obéit aujourd’hui ? Non. Longtemps courbé sous l’esclavage, asservi à des lois qui ne sont pas les siennes, il vient d’être décimé par une horrible famine qui a réduit la population à son tiers. Cette calamité, due en grande partie à l’imprévoyance des autorités, a duré trois ans sans qu’il fût possible de l’enrayer. Les chemins étroits ne pouvaient laisser passer que des mulets chargés de grain, et les pauvres bêtes, privées elles-mêmes de nourriture, succombaient sous le poids et la fatigue ; des hommes, des femmes couverts de bijoux et tenant dans leurs mains crispées des pièces d’argent, se tordaient et se roulaient dans les tortures de la faim ; des gens hâves et décharnés s’affaissaient sur le seuil de leur maison, suivant d’un œil hagard des vaches maigres et languissantes qui pourtant auraient pu atténuer leurs souffrances. Mais la religion, cette implacable religion qui n’est pourtant pas la leur, leur défendait, sous peine de mort, de toucher à ces animaux sacrés. Ainsi au Cachemire, dans un pays habité par des musulmans, il est défendu de tuer une vache ou un bœuf, parce que le maharajah est hindou et que cet animal est l’animal sacré par excellence. La bouse de vache constitue, aux yeux de ce peuple fanatique, la purification la plus efficace ; tout ce qui est impur ou a pu le devenir est purifié par elle.
Un brahmane a-t-il été souillé par quelque attouchement, vite il va se purifier en buvant de l’urine de vache et en se frottant avec de la bouse. Malheur au propriétaire qui perd sa vache ! car le ciel est en grande fureur contre lui.
Le Premier ministre du Népal disait un jour à M. Henvey, alors résident anglais dans ce pays : “Si un de vos compatriotes venait à tuer un indigène, je pourrais très bien le sauver ; mais si par malheur il tuait une vache, il me serait impossible de le soustraire au supplice.” Lorsque les troupes du maharajah allèrent en guerre dans le pays de Gilgit, il arriva que ces malheureux soldats fussent sur le point de périr, faute d’aliments. Ils avaient comme bêtes de somme des buffles, mais ils se seraient laissés mourir de faim plutôt que d’y toucher ; il fallut consulter les brahmanes, qui, s’étant assemblés et ayant délibéré, déclarèrent que le buffle n’était pas un bœuf et qu’on pouvait le manger. C’est ainsi que cette malheureuse armée fut sauvée. Il est plus que probable que les brahmanes, souffrant eux-mêmes de la faim, auront trouvé cette ingénieuse combinaison, qui satisfaisait en même temps leur conscience et leur appétit. Pourtant il n’est pas rare de voir les hindous maltraiter leurs vaches et leur donner des coups. Dans la partie des Indes qui appartient aux Anglais, la vente de viande de vache et de bœuf ne souffre aucun inconvénient. Les brahmanes sont très tolérants à cet égard, et un fait que j’ai lu doit ici trouver sa place ; il prouvera jusqu’à quel point les brahmanes modifient jusqu’aux prescriptions les plus sévères de la loi.
“Au temps d’Akbar, un brahmane pria ce prince de faire un édit par lequel il défendît de tuer une seule vache dans sa province ; ce prince, ayant accédé à sa demande, fut bien étonné de voir quelque temps plus tard le brahmane qui venait le prier de nouveau de révoquer cet édit. Akbar voulut savoir pourquoi ce changement. Le brahmane lui répondit qu’il avait vu en songe plusieurs vaches qui, furieuses, l’avaient poursuivi de leurs cornes, et que l’une d’entre elles lui avait dit : ‘Ne sais-tu pas qu’après notre mort nos âmes doivent passer en d’autres corps sous des formes plus nobles ? Si ta religion défend de nous tuer et de nous procurer cet avantage, n’empêche pas les autres de le faire, car, en l’empêchant, tu deviens notre ennemi.’”
Cette anecdote doit servir à calmer les remords des hindous, auxquels le trafic de la viande de bœuf procure de grands avantages. Quoi qu’il en soit, cette vente n’est pas tolérée au Cachemire et le peuple, quoique musulman, doit s’y soumettre. Je ne crois pas que Ranbir Singh ait de mauvaises intentions, au contraire, mais il est tellement entre les mains des brahmanes que ceux-ci en font ce qu’ils veulent. »
(p. 263-266)
Le Kulu (p. 109-112)
De Srinagar à Murree (p. 461-464)
Extrait court