De Trieste à Bombay :
« Après avoir accompagné mon mari deux fois en Asie centrale, en l’espace de quatre ans, je l’ai également suivi lors de son voyage aux Indes, au Cachemire et au Petit-Tibet. Quant à la rapidité avec laquelle nous avons exécuté nos deux derniers voyages, quelques dates en diront plus long qu’une description. En décembre 1880 nous étions à Tachkent ; en janvier 1881, sur les bords de la mer d’Aral ; en avril 1881, en Égypte ; en juin de la même année, au cœur de l’Himalaya.
Le 18 avril 1881, nous partions le soir de Graz en nous dirigeant vers Trieste. Grâce à quelques largesses, nous obtenons un bon coupé. Dormons? Ah !? très bien? La respiration devient régulière, et les reins sont bien appuyés. Un bon sommeil nous donnera des forces? Oui !? Comptons là-dessus. Des cris de détresse partent du compartiment voisin : “Au secours ! Au nom du ciel, au secours !” Le train s’arrête à Laibach et les cris redoublent de plus belle. Une voyageuse éperdue paraît à la portière et crie aux employés : “Mon mari se meurt, il est empoisonné ! Du lait ! au nom du ciel, du lait !”
Les employés se précipitent, entrent, descendent, emportent une masse grise : ce doit être le mari ; suivie d’une ombre qui gesticule et crie : ce doit être la femme. Puis on n’entend plus rien. L’employé qui vient nous demander nos billets répond avec un calme parfait à nos questions : “Il aura mangé trop de cochonnaille au buffet de Graz, il se trouve mal, et sa femme croit qu’il a été empoisonné par la strychnine.” Je plains ce pauvre homme, et je plains aussi la femme, malgré le côté comique de l’accident, car je ne puis m’empêcher de me reporter à mon dernier voyage dans les steppes de la mer d’Aral, où, par un froid de 37 °C, M. de Ujfalvy tomba à mes pieds, frappé d’une congestion. Mais enfin cette femme était en pays civilisé, à portée d’un médecin, tandis que moi j’étais au milieu du désert, sans autre secours que celui du chef de la misérable station et de sa femme, seuls habitants de ces terres émaillées çà et là de pauvres Kirghizes. Pour trouver un médecin, il m’aurait fallu retourner sur mes pas à Kazalinsk, soit à 150 kilomètres en arrière, et cela avec, pour tout moyen de locomotion, des chameaux, utiles animaux, sans doute, mais qui font tout tranquillement au plus leurs 40 kilomètres en dix à douze heures. On conviendra que la différence des situations était grande. Aussi, tout en plaignant la femme, je m’endormis pourtant et ne me réveillai qu’à 6 heures du matin, c’est-à-dire à une heure à peu près de Trieste. »
Le Kulu (p. 109-112)
Srinagar et ses curiosités (p. 263-266)
De Srinagar à Murree (p. 461-464)
« Après avoir accompagné mon mari deux fois en Asie centrale, en l’espace de quatre ans, je l’ai également suivi lors de son voyage aux Indes, au Cachemire et au Petit-Tibet. Quant à la rapidité avec laquelle nous avons exécuté nos deux derniers voyages, quelques dates en diront plus long qu’une description. En décembre 1880 nous étions à Tachkent ; en janvier 1881, sur les bords de la mer d’Aral ; en avril 1881, en Égypte ; en juin de la même année, au cœur de l’Himalaya.
Le 18 avril 1881, nous partions le soir de Graz en nous dirigeant vers Trieste. Grâce à quelques largesses, nous obtenons un bon coupé. Dormons? Ah !? très bien? La respiration devient régulière, et les reins sont bien appuyés. Un bon sommeil nous donnera des forces? Oui !? Comptons là-dessus. Des cris de détresse partent du compartiment voisin : “Au secours ! Au nom du ciel, au secours !” Le train s’arrête à Laibach et les cris redoublent de plus belle. Une voyageuse éperdue paraît à la portière et crie aux employés : “Mon mari se meurt, il est empoisonné ! Du lait ! au nom du ciel, du lait !”
Les employés se précipitent, entrent, descendent, emportent une masse grise : ce doit être le mari ; suivie d’une ombre qui gesticule et crie : ce doit être la femme. Puis on n’entend plus rien. L’employé qui vient nous demander nos billets répond avec un calme parfait à nos questions : “Il aura mangé trop de cochonnaille au buffet de Graz, il se trouve mal, et sa femme croit qu’il a été empoisonné par la strychnine.” Je plains ce pauvre homme, et je plains aussi la femme, malgré le côté comique de l’accident, car je ne puis m’empêcher de me reporter à mon dernier voyage dans les steppes de la mer d’Aral, où, par un froid de 37 °C, M. de Ujfalvy tomba à mes pieds, frappé d’une congestion. Mais enfin cette femme était en pays civilisé, à portée d’un médecin, tandis que moi j’étais au milieu du désert, sans autre secours que celui du chef de la misérable station et de sa femme, seuls habitants de ces terres émaillées çà et là de pauvres Kirghizes. Pour trouver un médecin, il m’aurait fallu retourner sur mes pas à Kazalinsk, soit à 150 kilomètres en arrière, et cela avec, pour tout moyen de locomotion, des chameaux, utiles animaux, sans doute, mais qui font tout tranquillement au plus leurs 40 kilomètres en dix à douze heures. On conviendra que la différence des situations était grande. Aussi, tout en plaignant la femme, je m’endormis pourtant et ne me réveillai qu’à 6 heures du matin, c’est-à-dire à une heure à peu près de Trieste. »
(p. 51-52)
Le Kulu (p. 109-112)
Srinagar et ses curiosités (p. 263-266)
De Srinagar à Murree (p. 461-464)