
La demande :
« Ainsi, en accord avec sa propre conscience et soulagée par l’épilogue heureux de son dur combat, la jeune femme avançait, rêveuse, sur la place de la Bourse, parmi les stands appétissants du marché alimentaire. Elle balayait du regard les produits frais sur les éventaires et, du coin de l’œil, vérifiait l’écran de son téléphone où s’affichaient les profils des hommes connectés à ce qu’elle considérait comme les plus rentables sites de rencontre. Puisqu’elle avait le temps et que les marmites fumantes de choucroute garnie et de paella titillaient son appétit, elle voulut s’offrir un beau repas. Au même instant, une notification sonore provenant de son téléphone lui fit supposer qu’elle obtiendrait, probablement dans la soirée, un rendez-vous galant ; alors, par un étrange enchaînement de sensations, son ventre gargouilla.
Arrivée à l’angle de la rue de la Banque et du passage des Petits-Pères, Émeline Rivière se rendit devant l’entrée du bistrot nommé Le Bougainville. Une ardoise noire, installée sur un chevalet, présentait le menu typique de nos brasseries : rillettes d’oie, œuf dur mayonnaise, saucisson du Cantal, brandade de morue, tripes à la mode de Caen, saint-nectaire fermier, clafoutis aux cerises, etc. Sans attendre qu’un serveur la plaçât, Émeline Rivière s’assit sur un fauteuil tapissé de skaï devant une table jaunasse en formica, entourée par des dizaines de clients qui provoquaient dans leur surenchère de paroles, de rires et de cris, un joyeux vacarme de cantine. Après avoir commandé, au péril de son régime, les plats et le vin qui lui semblaient les plus succulents, Émeline Rivière consulta sa messagerie.
Sur Internet, en dehors des nécessaires réseaux sociaux professionnels, Émeline Rivière était une femme pour le moins différente : elle y dévoilait la part la plus intime de son identité. En fonction des sites où la possibilité d’un coït est à la portée d’un clic, Émeline Rivière se révélait sous différents pseudonymes, comme une actrice se révèle sous un masque : LovelyTrader, SublimeSubprimes, SexMarket, et bien d’autres noms de scène que j’ai oubliés. Émeline Rivière pratiquait l’accouplement au même titre que le golf, la natation ou le ski ; chacune de ses relations sexuelles occupait une place dans son agenda comme n’importe lequel de ses loisirs.
Qu’aucun mâle ne se sente humilié ou ne se scandalise, mais je dois avouer qu’Émeline Rivière considérait le corps masculin comme un outil. Aussi, pendant tout son déjeuner, elle fixa l’écran de son téléphone et fit ses courses à la façon d’un ingénieur déambulant dans les rayons d’un magasin de bricolage.
Ce jour-là, DeuxCerveauxUnMuscle fut le profil qu’elle estima le plus attractif. Après un échange de messages complices et savoureux, elle lui demanda son numéro de téléphone.
Voulant profiter pleinement des capacités vocales de son prétendant, elle sortit par une porte ouverte sur la galerie Vivienne. Puis, souhaitant contrarier le désir de son interlocuteur afin de le soumettre à sa propre loi, Émeline Rivière retarda le moment de l’appeler. Elle déambula dans ce couloir éclairé par une douce lumière blanchâtre. Le cliquetis de ses talons aiguilles sur le sol en mosaïque lui faisait penser au tic-tac de la montre ; elle essayait au maximum de les espacer, imaginant ainsi ralentir la succession des secondes? et surexciter DeuxCerveauxUnMuscle.
Aurait-elle pu remarquer, à ce moment-là, qu’elle était guettée par un homme ? »
Recommencer (p. 11-13)
La vie romantique (p. 159-161)
Extrait court
« Ainsi, en accord avec sa propre conscience et soulagée par l’épilogue heureux de son dur combat, la jeune femme avançait, rêveuse, sur la place de la Bourse, parmi les stands appétissants du marché alimentaire. Elle balayait du regard les produits frais sur les éventaires et, du coin de l’œil, vérifiait l’écran de son téléphone où s’affichaient les profils des hommes connectés à ce qu’elle considérait comme les plus rentables sites de rencontre. Puisqu’elle avait le temps et que les marmites fumantes de choucroute garnie et de paella titillaient son appétit, elle voulut s’offrir un beau repas. Au même instant, une notification sonore provenant de son téléphone lui fit supposer qu’elle obtiendrait, probablement dans la soirée, un rendez-vous galant ; alors, par un étrange enchaînement de sensations, son ventre gargouilla.
Arrivée à l’angle de la rue de la Banque et du passage des Petits-Pères, Émeline Rivière se rendit devant l’entrée du bistrot nommé Le Bougainville. Une ardoise noire, installée sur un chevalet, présentait le menu typique de nos brasseries : rillettes d’oie, œuf dur mayonnaise, saucisson du Cantal, brandade de morue, tripes à la mode de Caen, saint-nectaire fermier, clafoutis aux cerises, etc. Sans attendre qu’un serveur la plaçât, Émeline Rivière s’assit sur un fauteuil tapissé de skaï devant une table jaunasse en formica, entourée par des dizaines de clients qui provoquaient dans leur surenchère de paroles, de rires et de cris, un joyeux vacarme de cantine. Après avoir commandé, au péril de son régime, les plats et le vin qui lui semblaient les plus succulents, Émeline Rivière consulta sa messagerie.
Sur Internet, en dehors des nécessaires réseaux sociaux professionnels, Émeline Rivière était une femme pour le moins différente : elle y dévoilait la part la plus intime de son identité. En fonction des sites où la possibilité d’un coït est à la portée d’un clic, Émeline Rivière se révélait sous différents pseudonymes, comme une actrice se révèle sous un masque : LovelyTrader, SublimeSubprimes, SexMarket, et bien d’autres noms de scène que j’ai oubliés. Émeline Rivière pratiquait l’accouplement au même titre que le golf, la natation ou le ski ; chacune de ses relations sexuelles occupait une place dans son agenda comme n’importe lequel de ses loisirs.
Qu’aucun mâle ne se sente humilié ou ne se scandalise, mais je dois avouer qu’Émeline Rivière considérait le corps masculin comme un outil. Aussi, pendant tout son déjeuner, elle fixa l’écran de son téléphone et fit ses courses à la façon d’un ingénieur déambulant dans les rayons d’un magasin de bricolage.
Ce jour-là, DeuxCerveauxUnMuscle fut le profil qu’elle estima le plus attractif. Après un échange de messages complices et savoureux, elle lui demanda son numéro de téléphone.
Voulant profiter pleinement des capacités vocales de son prétendant, elle sortit par une porte ouverte sur la galerie Vivienne. Puis, souhaitant contrarier le désir de son interlocuteur afin de le soumettre à sa propre loi, Émeline Rivière retarda le moment de l’appeler. Elle déambula dans ce couloir éclairé par une douce lumière blanchâtre. Le cliquetis de ses talons aiguilles sur le sol en mosaïque lui faisait penser au tic-tac de la montre ; elle essayait au maximum de les espacer, imaginant ainsi ralentir la succession des secondes? et surexciter DeuxCerveauxUnMuscle.
Aurait-elle pu remarquer, à ce moment-là, qu’elle était guettée par un homme ? »
(p. 25-27)
Recommencer (p. 11-13)
La vie romantique (p. 159-161)
Extrait court