Naissance d’une destinée :
« Au bord d’un sentier pédestre, l’eau de la Loire sort timidement d’un trou de verdure sous un écriteau qui affirme sans équivoque : “Ici commence ma course vers l’océan.” Le mince ruisseau circule ensuite parmi les fougères, les tiges de séneçon et de cerfeuil hirsute avant de se répandre dans un petit étang situé en contrebas. Ses berges sont colorées du jaune éclatant des renoncules et du bleu intense des myosotis. Ici, la Loire peut encore se traverser d’une seule enjambée. À la sortie de l’étang, la source “véritable” s’évade dans une vaste prairie balayée par le vent. Une grande paix émane de cet endroit où je reste un long moment à méditer sur la destinée de ce maigre cours d’eau que je vais suivre pendant un mois. Comme tous les nouveau-nés, il ne sait rien de son avenir. Au loin se dressent les grands monts d’Auvergne. “C’est beau, non ?” La vieille dame m’a surpris. Je ne l’avais pas entendue arriver. Une abondante chevelure grise encadre son visage hâlé de paysanne. Toute vêtue de noir, elle porte autour du cou un foulard fuchsia très élégant. Dans sa main, un joli bouquet de jonquilles. “J’aime beaucoup les fleurs, me dit-elle. Surtout les tulipes sauvages, mais celles-là il ne faut pas les cueillir, elles sont protégées.” Je remonte avec elle vers la route départementale. Je l’interroge à tout hasard. “Ne seriez-vous pas la Régine du restaurant ?” Elle me répond en riant : “Oui, pas celle des boîtes de nuit ! Moi, c’est Régine Bouchet. J’ai commencé à travailler dans ce restaurant à l’âge de 20 ans et j’en ai 70 aujourd’hui. Alors faites le compte? Aujourd’hui, c’est ma fille qui a pris la relève. Mais je n’ai pas envie de partir. Pour aller où ? J’ai passé ma vie ici. Et puis j’aime l’Ardèche, même si le climat est difficile. La vie est rude par ici, vous savez. Il n’est pas rare qu’il neige encore au mois de juin. Et en hiver, quand souffle la burle, c’est glacial. Mais c’est mon pays. Vous avez vu ces fleurs partout ? C’est tellement beau le printemps ici !” Nous avançons tous les deux sur la route froide et déserte. Je dis à Régine que je pars demain matin à vélo pour suivre jusqu’à l’océan la Loire qui vient de naître. »
Sur les hautes terres (p.32-37)
La Grenadière (p. 193-196)
Vers le grand large (p. 266-269)
« Au bord d’un sentier pédestre, l’eau de la Loire sort timidement d’un trou de verdure sous un écriteau qui affirme sans équivoque : “Ici commence ma course vers l’océan.” Le mince ruisseau circule ensuite parmi les fougères, les tiges de séneçon et de cerfeuil hirsute avant de se répandre dans un petit étang situé en contrebas. Ses berges sont colorées du jaune éclatant des renoncules et du bleu intense des myosotis. Ici, la Loire peut encore se traverser d’une seule enjambée. À la sortie de l’étang, la source “véritable” s’évade dans une vaste prairie balayée par le vent. Une grande paix émane de cet endroit où je reste un long moment à méditer sur la destinée de ce maigre cours d’eau que je vais suivre pendant un mois. Comme tous les nouveau-nés, il ne sait rien de son avenir. Au loin se dressent les grands monts d’Auvergne. “C’est beau, non ?” La vieille dame m’a surpris. Je ne l’avais pas entendue arriver. Une abondante chevelure grise encadre son visage hâlé de paysanne. Toute vêtue de noir, elle porte autour du cou un foulard fuchsia très élégant. Dans sa main, un joli bouquet de jonquilles. “J’aime beaucoup les fleurs, me dit-elle. Surtout les tulipes sauvages, mais celles-là il ne faut pas les cueillir, elles sont protégées.” Je remonte avec elle vers la route départementale. Je l’interroge à tout hasard. “Ne seriez-vous pas la Régine du restaurant ?” Elle me répond en riant : “Oui, pas celle des boîtes de nuit ! Moi, c’est Régine Bouchet. J’ai commencé à travailler dans ce restaurant à l’âge de 20 ans et j’en ai 70 aujourd’hui. Alors faites le compte? Aujourd’hui, c’est ma fille qui a pris la relève. Mais je n’ai pas envie de partir. Pour aller où ? J’ai passé ma vie ici. Et puis j’aime l’Ardèche, même si le climat est difficile. La vie est rude par ici, vous savez. Il n’est pas rare qu’il neige encore au mois de juin. Et en hiver, quand souffle la burle, c’est glacial. Mais c’est mon pays. Vous avez vu ces fleurs partout ? C’est tellement beau le printemps ici !” Nous avançons tous les deux sur la route froide et déserte. Je dis à Régine que je pars demain matin à vélo pour suivre jusqu’à l’océan la Loire qui vient de naître. »
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Sur les hautes terres (p.32-37)
La Grenadière (p. 193-196)
Vers le grand large (p. 266-269)