La musique avant tout :
« On oublie trop souvent de préciser que Kinshasa est un nid de talents, en matière musicale, bien sûr, mais aussi dans les domaines de la danse, de la photographie, de la sculpture et, surtout, de la peinture. Si tout coûte cher à Kinshasa, il est en revanche très facile d’acquérir dans la rue, pour quelques dizaines de dollars, une œuvre qui trouverait largement sa place dans n’importe quelle galerie prestigieuse d’Europe. Et je ne doute pas que certains marchands d’art peu scrupuleux profitent déjà de la situation pour développer un juteux business dont les artistes anonymes de Kin la Belle ne verront jamais le bénéfice.
La ville semble ainsi compenser ses faiblesses en matière de gouvernance et d’économie par une vitalité artistique surprenante, comme si l’art et la fête constituaient pour ceux qui s’y adonnent un ultime exutoire face à des conditions de vie extrêmement difficiles. Les Congolais évoquent d’ailleurs toujours à ce sujet l’“ambiance” et les “ambianceurs”. Qu’ils galvanisent les fêtards par des harangues au micro ou qu’ils indiquent des pas de danse, les ambianceurs exercent une fonction sociale de première importance, puisque, comme leur nom l’indique, ce sont eux qui animent les célébrations. Dans chaque concert, chaque fête, à chaque terrasse ou, plus simplement, dans la rue, il y a toujours un ambianceur autoproclamé. Les musiciens qui font danser le public sont, par définition, des ambianceurs, car l’ambiance ne peut se concevoir sans musique. Pour lancer la danse, on fait généralement appel à un ambianceur attitré, reconnu pour ses compétences. L’illustration la plus frappante de ce phénomène est le ndombolo, courant musical récent créé en réponse aux rythmes parfois trop lents de la rumba. Le chanteur émet une série d’onomatopées, sous forme de motifs sonores répétitifs, dans le but de provoquer dans le public une ivresse de mouvements, parfois obscènes, mais toujours très amusants à exécuter. De la musique de jeunes, d’après les anciens.
Qu’on l’apprécie ou pas, force est de reconnaître qu’il n’y a pas mieux? pour mettre l’ambiance ! Plus généralement, l’ambiance au Congo se doit d’être partout – en tout temps, en tout lieu. Avec le maillage des haut-parleurs de rue, il devient même difficile de trouver un endroit calme. Dans les clubs, improprement appelés boîtes de nuit car ils sont aussi ouverts le jour, les noceurs aiment à se regarder danser dans des miroirs accrochés aux murs. Certains quartiers, enfin, plus chauds que les autres, ont l’honneur d’être sacrés “quartiers d’ambiance” : Bandal, Lemba, Bon Marché et, surtout, le quartier historique de Matonge (prononcer “Matongué”), à proximité du rond-point Victoire, où les pionniers de la rumba se sont lancés il y a soixante-dix ans, dominent par leur renommée l’ambiance générale. Dans un climat de saine émulation ambiançale, Bandal et Lemba se sont livrés récemment une guerre de communication sur Internet, par vidéos interposées, pour revendiquer le titre de “Petit Paris de Kinshasa”. À mon sens, ce serait plutôt aux trop policés arrondissements parisiens de chercher à conquérir le titre de “Petit Kinshasa”, à la manière du quartier bruxellois qui a emprunté le nom de Matonge à la métropole congolaise. »
Ça va un peu (p. 41-43)
La sape et le style (p. 126-129)
Extrait court
« On oublie trop souvent de préciser que Kinshasa est un nid de talents, en matière musicale, bien sûr, mais aussi dans les domaines de la danse, de la photographie, de la sculpture et, surtout, de la peinture. Si tout coûte cher à Kinshasa, il est en revanche très facile d’acquérir dans la rue, pour quelques dizaines de dollars, une œuvre qui trouverait largement sa place dans n’importe quelle galerie prestigieuse d’Europe. Et je ne doute pas que certains marchands d’art peu scrupuleux profitent déjà de la situation pour développer un juteux business dont les artistes anonymes de Kin la Belle ne verront jamais le bénéfice.
La ville semble ainsi compenser ses faiblesses en matière de gouvernance et d’économie par une vitalité artistique surprenante, comme si l’art et la fête constituaient pour ceux qui s’y adonnent un ultime exutoire face à des conditions de vie extrêmement difficiles. Les Congolais évoquent d’ailleurs toujours à ce sujet l’“ambiance” et les “ambianceurs”. Qu’ils galvanisent les fêtards par des harangues au micro ou qu’ils indiquent des pas de danse, les ambianceurs exercent une fonction sociale de première importance, puisque, comme leur nom l’indique, ce sont eux qui animent les célébrations. Dans chaque concert, chaque fête, à chaque terrasse ou, plus simplement, dans la rue, il y a toujours un ambianceur autoproclamé. Les musiciens qui font danser le public sont, par définition, des ambianceurs, car l’ambiance ne peut se concevoir sans musique. Pour lancer la danse, on fait généralement appel à un ambianceur attitré, reconnu pour ses compétences. L’illustration la plus frappante de ce phénomène est le ndombolo, courant musical récent créé en réponse aux rythmes parfois trop lents de la rumba. Le chanteur émet une série d’onomatopées, sous forme de motifs sonores répétitifs, dans le but de provoquer dans le public une ivresse de mouvements, parfois obscènes, mais toujours très amusants à exécuter. De la musique de jeunes, d’après les anciens.
Qu’on l’apprécie ou pas, force est de reconnaître qu’il n’y a pas mieux? pour mettre l’ambiance ! Plus généralement, l’ambiance au Congo se doit d’être partout – en tout temps, en tout lieu. Avec le maillage des haut-parleurs de rue, il devient même difficile de trouver un endroit calme. Dans les clubs, improprement appelés boîtes de nuit car ils sont aussi ouverts le jour, les noceurs aiment à se regarder danser dans des miroirs accrochés aux murs. Certains quartiers, enfin, plus chauds que les autres, ont l’honneur d’être sacrés “quartiers d’ambiance” : Bandal, Lemba, Bon Marché et, surtout, le quartier historique de Matonge (prononcer “Matongué”), à proximité du rond-point Victoire, où les pionniers de la rumba se sont lancés il y a soixante-dix ans, dominent par leur renommée l’ambiance générale. Dans un climat de saine émulation ambiançale, Bandal et Lemba se sont livrés récemment une guerre de communication sur Internet, par vidéos interposées, pour revendiquer le titre de “Petit Paris de Kinshasa”. À mon sens, ce serait plutôt aux trop policés arrondissements parisiens de chercher à conquérir le titre de “Petit Kinshasa”, à la manière du quartier bruxellois qui a emprunté le nom de Matonge à la métropole congolaise. »
(p. 75-77)
Ça va un peu (p. 41-43)
La sape et le style (p. 126-129)
Extrait court