
År 0 ~ Trinité :
« La terre est suffisamment meuble, alors Lars a creusé un trou profond là où l’enfant a planté son bâton avec conviction. À l’extrémité d’une langue de terre qui s’avance sur le lac, à plusieurs centaines de mètres de la maison. De là, papa pourra voir le premier train arriver, dit-elle en regardant bien loin à l’ouest au-delà du lac. Le petit cheval tire le cercueil dans la neige qui fond et tous suivent, maladroits, dans l’ornière ainsi creusée : Lars et l’enfant sautillant, Magde entourée des Aasen. Et puis Erling qui les a rejoints discrètement sans mot dire. Il a juste lissé sa moustache blonde, rangé ses cheveux en arrière, sorti sa pelle et aidé Lars. Magde se laisse porter par cette drôle d’assemblée, elle a le regard fixe devant elle, les yeux dans le vague. Les petits sauts de l’enfant autour du cercueil entrent seuls dans son champ de vision. Pour le reste, la prière menée par Ivar, le chant des rallar entonné par Erling, le bruit de la terre humide qui recouvre peu à peu le corps, rien ne l’atteint vraiment. Elle sent juste toute la violence de ce moment, comme une seconde mise à mort. Arne dormait si tranquillement à l’ombre de l’appentis, attendant le printemps comme tout le monde. Pourquoi agir avec tant d’impatience, encore et toujours ?
Lars l’a emmenée à la rivière. Elle le lui a demandé. Pour la haïr. Pour la maudire. Pour savoir où elle se trouve exactement, et la bannir définitivement. Ils sont partis tôt le matin en direction du glacier. Il leur faut deux heures de marche pour contourner le lac dont la couverture de glace n’est plus assez solide, puis monter vers les hauteurs. Des moraines de cailloux ont remplacé l’herbe rase et les névés. Et là, sortant du glacier, s’échappe la Styggelvane. Elle la reconnaît, hideuse, mauvaise, glaciale. Cette rivière assourdissante qui enserre ses pensées, étouffe son corps déjà si meurtri de tensions. Magde est dévorée par l’angoisse et l’incompréhension.
— Pourquoi être passé par là ?
— En décembre, tout était recouvert, c’était le chemin le plus court pour rentrer à la maison. On entendait à peine l’eau enfouie sous la neige.
Lars stoppe, aucune explication ne viendra réparer le désarroi de Magde. Il lui laisse un peu de temps face à l’eau qui gronde, puis lui prend le bras.
— Viens, rentrons maintenant.
En redescendant de la montagne, ils se mettent à courir sans trop savoir pourquoi. Ils ont franchi l’instant redouté. Ils se disent merci. Ils rient. Ils ont déjà effacé le bruit, le gris, le froid. Ils ont effacé la peur, la tristesse, la colère. Ils courent dans la neige ramollie et s’en retournent comme des enfants espiègles à la maison. »
Ã…r 5 ~ Bascule (p. 78-80)
Ã…r 10 ~ Horizons (p. 134-135)
Extrait court
« La terre est suffisamment meuble, alors Lars a creusé un trou profond là où l’enfant a planté son bâton avec conviction. À l’extrémité d’une langue de terre qui s’avance sur le lac, à plusieurs centaines de mètres de la maison. De là, papa pourra voir le premier train arriver, dit-elle en regardant bien loin à l’ouest au-delà du lac. Le petit cheval tire le cercueil dans la neige qui fond et tous suivent, maladroits, dans l’ornière ainsi creusée : Lars et l’enfant sautillant, Magde entourée des Aasen. Et puis Erling qui les a rejoints discrètement sans mot dire. Il a juste lissé sa moustache blonde, rangé ses cheveux en arrière, sorti sa pelle et aidé Lars. Magde se laisse porter par cette drôle d’assemblée, elle a le regard fixe devant elle, les yeux dans le vague. Les petits sauts de l’enfant autour du cercueil entrent seuls dans son champ de vision. Pour le reste, la prière menée par Ivar, le chant des rallar entonné par Erling, le bruit de la terre humide qui recouvre peu à peu le corps, rien ne l’atteint vraiment. Elle sent juste toute la violence de ce moment, comme une seconde mise à mort. Arne dormait si tranquillement à l’ombre de l’appentis, attendant le printemps comme tout le monde. Pourquoi agir avec tant d’impatience, encore et toujours ?
Lars l’a emmenée à la rivière. Elle le lui a demandé. Pour la haïr. Pour la maudire. Pour savoir où elle se trouve exactement, et la bannir définitivement. Ils sont partis tôt le matin en direction du glacier. Il leur faut deux heures de marche pour contourner le lac dont la couverture de glace n’est plus assez solide, puis monter vers les hauteurs. Des moraines de cailloux ont remplacé l’herbe rase et les névés. Et là, sortant du glacier, s’échappe la Styggelvane. Elle la reconnaît, hideuse, mauvaise, glaciale. Cette rivière assourdissante qui enserre ses pensées, étouffe son corps déjà si meurtri de tensions. Magde est dévorée par l’angoisse et l’incompréhension.
— Pourquoi être passé par là ?
— En décembre, tout était recouvert, c’était le chemin le plus court pour rentrer à la maison. On entendait à peine l’eau enfouie sous la neige.
Lars stoppe, aucune explication ne viendra réparer le désarroi de Magde. Il lui laisse un peu de temps face à l’eau qui gronde, puis lui prend le bras.
— Viens, rentrons maintenant.
En redescendant de la montagne, ils se mettent à courir sans trop savoir pourquoi. Ils ont franchi l’instant redouté. Ils se disent merci. Ils rient. Ils ont déjà effacé le bruit, le gris, le froid. Ils ont effacé la peur, la tristesse, la colère. Ils courent dans la neige ramollie et s’en retournent comme des enfants espiègles à la maison. »
(p. 45-46)
Ã…r 5 ~ Bascule (p. 78-80)
Ã…r 10 ~ Horizons (p. 134-135)
Extrait court