Christopher Gérard, www.causeur.fr, le 26 janvier 2020 :
? Né en 1936 dans une vieille famille languedocienne, l’Occitan Christian Dedet, qui fut longtemps médecin, publie maintenant depuis soixante ans, depuis son premier roman, Le Plus Grand des taureaux, paru au Seuil en 1960. Jeune étudiant en médecine, pris d’un pressentiment, il rendit visite à Céline quelques jours à peine avant sa mort, comme il le rappelle dans son Journal (deux passionnants volumes parus aux éditions de Paris, Sacrée jeunesse et L’Abondance et le Rêve). Il fréquenta alors Montherlant, Delteil, Cailleux, Dominique de Roux, Huguenin, tant d’autres dont le généreux Vandromme. Il écrit dans Esprit comme dans La Table ronde ou dans Les Nouvelles littéraires. Christian Dedet a aussi mené une carrière d’explorateur et de baroudeur, en Afrique – La Mémoire du fleuve, sans doute son plus grand succès de librairie, témoigne de son amour pour ce continent.
Aujourd’hui, il livre ses carnets de voyage en Guyane, qu’il a sillonnée à pied et en pirogue sur les traces du docteur Bougrat, un confrère d’avant-guerre condamné au bagne à perpétuité pour un meurtre qui fut sans doute un accident thérapeutique. Bougrat s’était évadé de Cayenne pour refaire sa vie au Venezuela, comme médecin des pauves – comme le bon docteur Destouches à Meudon.
Carnets de Guyane, En descendant le Maroni est le récit de cette enquête menée par le très stendhalien Christian Dedet. J’y ai retrouvé des rêveries d’adolescent, quand je me passionnais pour le destin tragique de Raymond Maufrais, ce jeune (et imprudent) aventurieux disparu dans l’Enfer vert et que son père allait tenter, dix ans durant, de retrouver. En vain.
Avec Dedet, nous marchons dans l’étouffante jungle équatoriale, nous voguons sur les boues du Maroni, nous visitons les ruines pathétiques des cachots de l’ancien bagne, et notamment ce qui reste de la prison du capitaine Dreyfus, sur l’îlot du Diable. Nous faisons connaissance avec les derniers Indiens sauvages, menacés de dégénérescence dans une contrée en proie aux chercheurs d’or venus du Brésil et du Surinam, avec des expatriés hauts en couleur aussi.
Grâce à son immense culture, grâce à sa bienveillance qui est peut-être celle du praticien pour ses patients, grâce aussi à sa curiosité et à sa jeunesse d’esprit, Christian Dedet nous enchante, dilettante attentif et lucide – une splendide figure d’humaniste, que je suis fier de connaître. »
D. P., L’Agglo-rieuse, n° 862, le 20 novembre 2019 :
? La Guyane a longtemps été une terre maudite évoquant les relégations depuis plus de deux siècles puisque des révolutionnaires y furent déportés dès 1795.
Christian Dedet, romancier de l’inoubliable La Mémoire du fleuve ne pouvait ignorer ce pays, aimanté par une de ces mystérieuses prédestinations qui organisent notre déambulation terrestre dans le dédale des lieux et des êtres. Enquêtant pour son autre passionnant roman, Le Secret du Dr Bougrat, un docteur marseillais condamné au bagne après un procès qui passionna la France dans les années 1925, il a fait plusieurs séjours en Guyane et au cours de l’un d’eux il a descendu le fleuve Maroni en pirogue. Une aventure peu banale sur un fleuve tumultueux parsemé de rapides à travers la forêt primaire ou la savane, périple entrecoupé de haltes dans des villages indiens éloignés de ce qu’il est convenu d’appeler la civilisation.
Le récit est soutenu par un lyrisme qui rappelle les meilleures pages de Chateaubriand fasciné par les forêts du Nouveau Monde, ou les récits du Jack London de L’Appel de la forêt rendant compte de l’intimité quasi épidermique de l’homme avec les fleuves et les forêts. Christian Dedet nous plonge dans la beauté baroque de la forêt équatoriale issue de la symbiose entre une croissance frénétique et des décompositions nourrissant cette débauche de vie végétale.
Ce livre est désormais indispensable aux futurs visiteurs de la Guyane. Car l’écrivain attentif à la nature, l’est aussi aux êtres qui vivent dans ce milieu fragile. Christian Dedet n’a pas occulté les menaces qui pèsent sur cette forêt et sur ses derniers habitants. Ce faisant, le lyrisme de son livre participe à sa protection nécessaire dans un monde où la technique est devenue destructrice en éradiquant la diversité flamboyante des espaces naturels.
C’est un livre que l’on peut lire soit d’un trait, soit à petites gorgées car il procure les sensations d’une eau fraîche après une longue randonnée.
Avec ce récit l’écrivain Christian Dedet montre avec éloquence qu’il n’a pas perdu la main depuis qu’il décrivait la vie foisonnante sur le fleuve Ogooué du Gabon. À la lignée des grands écrivains qui ont le mieux su parler de ces fleuves qui sont les véritables veines de la terre – Mark Twain et le Mississippi, Conrad et le Congo, Cholokhov et le Don, GarcÃa Márquez et le rio Magdalena, Claudio Magris et le Danube –, il convient désormais d’ajouter Christian Dedet qui, après avoir été le chantre du fleuve gabonais, a associé à jamais son nom à celui du fleuve Maroni. »