Premier départ de Maripasoula :
« Le fleuve s’appelle encore rivière Lawa et ne s’intitulera Maroni qu’à quelques dizaines de kilomètres en aval. Il ménage de vastes ciels et un immense appel d’air. Quant à la forêt qui mousse partout ailleurs que sur la coulée beige et ocre des eaux, c’est le séjour des peuples amérindiens : ici Arawaks peu nombreux, quelques Oyaricoulets en voie d’extinction, wayanas pour la plupart.
Au terme de notre vol, nous venons de nous poser devant une foule moins nombreuse qu’à Saül, le chef-lieu de canton comportant d’autres loisirs : une salle de spectacle et deux ou trois bistrots.
Au premier rang du comité d’accueil : notre Benoît, bien sûr, un garçon dégingandé, à la chaleur un peu surjouée, nu-pieds mais fort heureusement dépourvu du bandeau de corsaire et autres accessoires dont s’affublent si volontiers tant de guides lorsqu’ils réceptionnent leurs ouailles. Il nous dit que nous allons déjeuner tous ensemble avant de gagner le débarcadère où il a préparé la pirogue et le matériel ; débarcadère d’où nous partirons en fin d’après-midi.
En fait de taxi-fret, la pelleteuse municipale enlève nos bagages dans sa benne tandis que l’unique taxi de la localité va nous transporter au “centre-ville” en deux ou trois rotations. Un vestige de 404, cette voiture dont les portières tiennent avec du fil de fer et dont le parquet corrodé permet de voir la piste rouge défiler sous nos pieds.
Le motif d’étonnement pourtant est autre. Comment ces deux véhicules – les seuls au chef-lieu – sont-ils arrivés un jour dans ce pays sans chemins ? Par transport fluvial, bien sûr ; en pièces détachées. Mais quid des rapides, et des portages sur les berges hirsutes ?
“Maripa Soula” – ainsi devrait-on écrire, d’après la langue taki-taki – se propose après trois tours de roues. Cabanes et maisons de bois, certaines alertes et même coquettes avec leurs balustres et vifs coloris, en terrain dégagé ou serties d’exubérants bananiers. Longues avenues inondées de soleil ; vraies rues gagnées sur la brousse et tracées au cordeau ; toutes baptisées puisque portant cloué à un arbre leur plaque d’identité, avec des noms de tribuns républicains ou de citoyens honnêtes, comme dans tout chef-lieu de la mère patrie.
Patrie? je veux ! Un drapeau bleu blanc rouge orne la petite maison de la mairie – et un autre (même deux, tous jolis et bien propres) sur le péristyle du groupe scolaire. Du tricolore encore, à l’équipement et chez les deux gendarmes. Qu’en sera-t-il de Maripasoula au 14 Juillet !
Comme les perspectives s’arrêtent souvent sur des amas de palmes, des remparts de bananiers ou s’ornent, de loin en loin, d’altières silhouettes de fromagers, tout ce décor mi-citadin, mi-idyllique pourrait avoir été planté par le Douanier Rousseau.
“Votez Patient”, recommandent ici et là quelques affiches défraîchies. Un programme, pour l’ancienne colonie promue département ? Il s’agit simplement d’un Serge Patient, hier candidat UDF aux dernières cantonales. Aura-t-il réussi à expliquer aux Indiens que, désormais, les bienfaits de la civilisation sont à leur portée ?
Les agapes sont servies à l’hôtel Le Carbet, plus exactement à la terrasse ombragée de son bar-restaurant de l’Inini, à l’enseigne Chez Dédée. Un Indien vermillon bandant son arc et un Noir tout noir dans sa pirogue sont les sujets d’une fresque plus naïvement Bombois, elle, que Fauve de 14 Juillet ou Gauguin de pacotille. Moins sympathique, une suscription au treillis annonce les “crédits gelés”. Ils sont bien les seuls, par 40 °C à l’ombre ! Malgré ce léger signe de défiance qui, après tout, ne s’adresse pas à nous, l’avenante Dédée, vêtue paille et pagne multicolore, tour de taille imposant, sa belle tête surmontée d’un panache teint au henné, est déjà à nos petits soins et, de plats de poisson aux poivrons en cuissot de biche âprement cuisiné, salades de mangues, d’ananas, va nous dispenser les trésors de la gastronomie locale.
Le ti’punch ayant ouvert le bal, notre petit groupe a doucement commencé de se reconnaître. Certes, la réserve prévaut depuis le matin ; elle durera encore jusqu’au soir ; mais on se regarde en douce ; on sent bien qu’un minimum d’intimité va venir dès lors qu’il s’agira de souquer ou d’écoper, de trimer ou de souffrir ensemble, à plus forte raison quand, sous des abris de fortune, nous aurons ronflé côte à côte. »
L’or du fleuve et la nuit (p. 91-93)
Les Indiens et nous (p. 106-109)
Extrait court
« Le fleuve s’appelle encore rivière Lawa et ne s’intitulera Maroni qu’à quelques dizaines de kilomètres en aval. Il ménage de vastes ciels et un immense appel d’air. Quant à la forêt qui mousse partout ailleurs que sur la coulée beige et ocre des eaux, c’est le séjour des peuples amérindiens : ici Arawaks peu nombreux, quelques Oyaricoulets en voie d’extinction, wayanas pour la plupart.
Au terme de notre vol, nous venons de nous poser devant une foule moins nombreuse qu’à Saül, le chef-lieu de canton comportant d’autres loisirs : une salle de spectacle et deux ou trois bistrots.
Au premier rang du comité d’accueil : notre Benoît, bien sûr, un garçon dégingandé, à la chaleur un peu surjouée, nu-pieds mais fort heureusement dépourvu du bandeau de corsaire et autres accessoires dont s’affublent si volontiers tant de guides lorsqu’ils réceptionnent leurs ouailles. Il nous dit que nous allons déjeuner tous ensemble avant de gagner le débarcadère où il a préparé la pirogue et le matériel ; débarcadère d’où nous partirons en fin d’après-midi.
En fait de taxi-fret, la pelleteuse municipale enlève nos bagages dans sa benne tandis que l’unique taxi de la localité va nous transporter au “centre-ville” en deux ou trois rotations. Un vestige de 404, cette voiture dont les portières tiennent avec du fil de fer et dont le parquet corrodé permet de voir la piste rouge défiler sous nos pieds.
Le motif d’étonnement pourtant est autre. Comment ces deux véhicules – les seuls au chef-lieu – sont-ils arrivés un jour dans ce pays sans chemins ? Par transport fluvial, bien sûr ; en pièces détachées. Mais quid des rapides, et des portages sur les berges hirsutes ?
“Maripa Soula” – ainsi devrait-on écrire, d’après la langue taki-taki – se propose après trois tours de roues. Cabanes et maisons de bois, certaines alertes et même coquettes avec leurs balustres et vifs coloris, en terrain dégagé ou serties d’exubérants bananiers. Longues avenues inondées de soleil ; vraies rues gagnées sur la brousse et tracées au cordeau ; toutes baptisées puisque portant cloué à un arbre leur plaque d’identité, avec des noms de tribuns républicains ou de citoyens honnêtes, comme dans tout chef-lieu de la mère patrie.
Patrie? je veux ! Un drapeau bleu blanc rouge orne la petite maison de la mairie – et un autre (même deux, tous jolis et bien propres) sur le péristyle du groupe scolaire. Du tricolore encore, à l’équipement et chez les deux gendarmes. Qu’en sera-t-il de Maripasoula au 14 Juillet !
Comme les perspectives s’arrêtent souvent sur des amas de palmes, des remparts de bananiers ou s’ornent, de loin en loin, d’altières silhouettes de fromagers, tout ce décor mi-citadin, mi-idyllique pourrait avoir été planté par le Douanier Rousseau.
“Votez Patient”, recommandent ici et là quelques affiches défraîchies. Un programme, pour l’ancienne colonie promue département ? Il s’agit simplement d’un Serge Patient, hier candidat UDF aux dernières cantonales. Aura-t-il réussi à expliquer aux Indiens que, désormais, les bienfaits de la civilisation sont à leur portée ?
Les agapes sont servies à l’hôtel Le Carbet, plus exactement à la terrasse ombragée de son bar-restaurant de l’Inini, à l’enseigne Chez Dédée. Un Indien vermillon bandant son arc et un Noir tout noir dans sa pirogue sont les sujets d’une fresque plus naïvement Bombois, elle, que Fauve de 14 Juillet ou Gauguin de pacotille. Moins sympathique, une suscription au treillis annonce les “crédits gelés”. Ils sont bien les seuls, par 40 °C à l’ombre ! Malgré ce léger signe de défiance qui, après tout, ne s’adresse pas à nous, l’avenante Dédée, vêtue paille et pagne multicolore, tour de taille imposant, sa belle tête surmontée d’un panache teint au henné, est déjà à nos petits soins et, de plats de poisson aux poivrons en cuissot de biche âprement cuisiné, salades de mangues, d’ananas, va nous dispenser les trésors de la gastronomie locale.
Le ti’punch ayant ouvert le bal, notre petit groupe a doucement commencé de se reconnaître. Certes, la réserve prévaut depuis le matin ; elle durera encore jusqu’au soir ; mais on se regarde en douce ; on sent bien qu’un minimum d’intimité va venir dès lors qu’il s’agira de souquer ou d’écoper, de trimer ou de souffrir ensemble, à plus forte raison quand, sous des abris de fortune, nous aurons ronflé côte à côte. »
(p. 84-87)
L’or du fleuve et la nuit (p. 91-93)
Les Indiens et nous (p. 106-109)
Extrait court