Au paradis des chevaux sauvages : le Lavu di u Ninu :
« Le chemin, vide artificiel aménagé dans la végétation touffue de la forêt ou exploitation d’un passage naturel entre les rochers, est le trait d’union, mieux, le fruit d’une interaction entre l’homme et la nature, car il lui permet de la connaître au prix d’une transformation. Le chemin assure également le lien entre le solitaire et le groupe, dans la mesure où l’on peut ralentir pour écouter la forêt qui pousse ou accélérer le pas pour entendre les voix des hommes qui la traversent. Ainsi, les rires accompagnent l’immersion de Pierre dans une baignoire d’eau fraîche, tandis que, seule, je m’approche en silence d’un pic épeiche au travail sur un bouleau pour en distinguer la silhouette noire, blanche et rouge. Les fougères recouvrent entièrement le sous-bois et, derrière elles, derrière les larges troncs des pins laricios, derrière même les plans verts des collines boisées, une série de montagnes apparaît aux nuances d’azur. C’est le tableau d’un primitif flamand qui, pour exister, n’a besoin ni de l’œil humain, ni d’une comparaison, ni même de quelques mots maladroits. Mais il s’apprécie à l’aune de l’expérience de chaque passant et se dévoile à moi, par exemple, à l’aune de ma connaissance toute relative de la nature dans la peinture. Un botaniste y aurait reconnu les espèces végétales qu’il accueille ; un forestier aurait estimé l’âge des bouleaux ; un photographe aurait apprécié le jeu de la lumière sur les fougères? Le spectateur n’est donc jamais innocent. Il investit le paysage d’un regard chargé, relatif et partiel.
Un pas après l’autre, le chemin nous guide par ses couleurs blanc et rouge et par les cairns, ces tas de cailloux qui font les sentinelles et attirent le regard. On les croirait animés par la bienveillance dont ils sont les témoins. C’est peut-être pour cette raison qu’en italien on les appelle ometti, “petits hommes”. Ils ont été construits par les agents du parc naturel, mais les randonneurs leur ajoutent souvent une pierre, en remerciant ceux qui les ont précédés, en guidant ceux qui viendront. Certains sont grands, minces, et se terminent par des cailloux minuscules qui défient les lois physiques de l’équilibre ; d’autres, à la base large, sont de véritables monuments, rassurants repères pour le marcheur dans le brouillard. ?uvres d’art intégrées au paysage, dignes d’un Andy Goldsworthy ou d’un David Nash, ils ne lui volent rien et ne le souillent pas. Discrets et bienveillants, ils font signe : “Le bon chemin, c’est par ici !” »
Sur les hauteurs de Calvi (p. 27-28)
Double étape (p. 177-179)
Extrait court
« Le chemin, vide artificiel aménagé dans la végétation touffue de la forêt ou exploitation d’un passage naturel entre les rochers, est le trait d’union, mieux, le fruit d’une interaction entre l’homme et la nature, car il lui permet de la connaître au prix d’une transformation. Le chemin assure également le lien entre le solitaire et le groupe, dans la mesure où l’on peut ralentir pour écouter la forêt qui pousse ou accélérer le pas pour entendre les voix des hommes qui la traversent. Ainsi, les rires accompagnent l’immersion de Pierre dans une baignoire d’eau fraîche, tandis que, seule, je m’approche en silence d’un pic épeiche au travail sur un bouleau pour en distinguer la silhouette noire, blanche et rouge. Les fougères recouvrent entièrement le sous-bois et, derrière elles, derrière les larges troncs des pins laricios, derrière même les plans verts des collines boisées, une série de montagnes apparaît aux nuances d’azur. C’est le tableau d’un primitif flamand qui, pour exister, n’a besoin ni de l’œil humain, ni d’une comparaison, ni même de quelques mots maladroits. Mais il s’apprécie à l’aune de l’expérience de chaque passant et se dévoile à moi, par exemple, à l’aune de ma connaissance toute relative de la nature dans la peinture. Un botaniste y aurait reconnu les espèces végétales qu’il accueille ; un forestier aurait estimé l’âge des bouleaux ; un photographe aurait apprécié le jeu de la lumière sur les fougères? Le spectateur n’est donc jamais innocent. Il investit le paysage d’un regard chargé, relatif et partiel.
Un pas après l’autre, le chemin nous guide par ses couleurs blanc et rouge et par les cairns, ces tas de cailloux qui font les sentinelles et attirent le regard. On les croirait animés par la bienveillance dont ils sont les témoins. C’est peut-être pour cette raison qu’en italien on les appelle ometti, “petits hommes”. Ils ont été construits par les agents du parc naturel, mais les randonneurs leur ajoutent souvent une pierre, en remerciant ceux qui les ont précédés, en guidant ceux qui viendront. Certains sont grands, minces, et se terminent par des cailloux minuscules qui défient les lois physiques de l’équilibre ; d’autres, à la base large, sont de véritables monuments, rassurants repères pour le marcheur dans le brouillard. ?uvres d’art intégrées au paysage, dignes d’un Andy Goldsworthy ou d’un David Nash, ils ne lui volent rien et ne le souillent pas. Discrets et bienveillants, ils font signe : “Le bon chemin, c’est par ici !” »
(p. 78-79)
Sur les hauteurs de Calvi (p. 27-28)
Double étape (p. 177-179)
Extrait court